L’église syriaque-catholique Al-Bichara de Mossoul-Est
L’église syriaque-catholique Al-Bichara se situe à Mossoul-Est (rive orientale -gauche- du Tigre), dans le quartier Hay Al-Mohandisine (le quartier des ingénieurs), à 36°21’46.7″N 43°08’25.1″E (préciser les coordonnées) et 220 mètres d’altitude.
L’église Al-Bichara de Mossoul-Est a été créée en 1970 pour accompagner l’expansion urbaine de la ville de Mossoul et le déménagement des familles chrétiennes de la rive droite (ouest) vers la rive gauche (est) de la ville. Après la chute de régime de Saddam Hussein en 2003, le chaos qui sévit alors dans tout le pays affecta sévèrement les Chrétiens, qui subirent persécutions, kidnappings et meurtres. Dès lors, les Chrétiens mossouliotes s’exilèrent par milliers. Toutefois et simultanément l’église Al-Bichara devint un sanctuaire pour les familles qui restèrent à Mossoul. Après l’invasion de Mossoul par daesh le 10 juin 2014, les ultimes Chrétiens de Mossoul s’exilèrent vers la plaine de Ninive et le Kurdistan d’Irak. Beaucoup se regroupèrent à Erbil, capitale du Kurdistan d’Irak, et particulièrement dans le secteur nord, à Ankawa. Dans le camp de déplacés Ashti 2 d’Ankawa, une nouvelle église Al-Bichara fut édifiée (36°13’56″N 44°00’34″E et 434 mètres d’altitude) afin de maintenir la vie liturgique et sacramentelle. Cette église devint ainsi pendant 3 ans un pôle de rassemblement communautaire.
Depuis la libération de Mossoul des efforts remarquables sont déployés consentis pour reconstruire l’espoir d’une nouvelle fraternité et tenter de promouvoir localement la renaissance d’une communauté chrétienne. À Mossoul-Est, le père Emmanuel, curé de l’église syriaque-catholique Al-Bichara, a mobilisé plusieurs partenaires français (Œuvre d’Orient, Fraternité en Irak, Fondation Saint-Irénée) et irakiens pour reconstruire son église, édifier un presbytère et une résidence étudiante. L’inauguration civile s’est déroulée le 7 décembre 2019 en présence des plus hautes autorités locales et régionales et la consécration de l’église a eu lieu le lendemain, le 8 décembre 2019.
Photographie : Inauguration du nouvel espace religieux et social, comprenant la nouvelle église Al-Bichara, le presbytère et la résidence étudiante. Décembre 2019 © Ghareed Sabah Zakaria / HAMMURABI pour MESOPOTAMIA
Localisation
L’église syriaque-catholique Mar Touma se situe à Mossoul-Est (rive orientale du Tigre), dans le quartier Hay Al-Mohandisine (le quartier des ingénieurs), à 36°21’46.7″N 43°08’25.1″E (préciser les coordonnées) et 220 mètres d’altitude.
Aux origines de l’Église syriaque-catholique
Si la tradition syriaque attribue l’évangélisation de la Mésopotamie à l’apôtre Thomas et à ses disciples Addaï et Mari, « il semble qu’en réalité l’introduction du christianisme remonte seulement au début du IIe siècle et qu’elle ait été l’œuvre de missionnaires judéo-chrétiens venus de Palestine[1] ». Ce christianisme mésopotamien se structura à Séleucie-Ctésiphon, sur les bords du Tigre, à 30 km au sud de Bagdad, où la tradition indique que Saint Thomas s’y arrêta au cours de son voyage vers l’Inde. C’est là, sur une colline du faubourg de Kokhé, que fut bâtie la première église patriarcale de l’Église de Mésopotamie et que fut établit son catholicossat. Ce christianisme des origines de langue syriaque constitue encore de nos jours le socle commun des églises locales irakiennes et de leurs communautés qui en perpétuent l’héritage et la transmission.
Ce socle commun fut progressivement fractionné en une pluralité d’églises dès le concile de Nicée au IVe siècle et jusqu’au XXe siècle pour des raisons souvent bien plus géopolitiques que christologiques.
Ainsi, le premier concile œcuménique de Nicée, en 325, convoqué par l’empereur romain Constantin Ier se tint en l’absence des évêques de Perse, à l’exception de Jacques de Nisibe, car « il était impossible aux autres pasteurs, en période de guerre permanente ou presque, d’aller siéger dans une assemblée tenue en pays ennemi, convoquée par l’empereur romain et, qui plus est, présidée par lui.[2] ». Il faut dire que dès la conversion Constantin Ier au christianisme, l’empereur sassanide Shapour II passa de la tolérance à la méfiance vis à vis des Chrétiens de Perse. Cette méfiance se mua en hostilité, les églises furent détruites et le clergé fut persécuté. « Le but de la persécution n’est pas d’anéantir les chrétiens, mais de les amener à apostasier, une fois la hiérarchie décimée.[3] »
Un siècle plus tard, en 431, le Concile d’Éphèse condamna le patriarche de Constantinople Nestorius défenseur des deux natures coexistant en Christ : l’une divine, fils de Dieu, l’autre humaine fils de Marie. Cette doctrine christologique fut jugée hérétique et Nestorius fut déposé. Les rivalités géopolitiques entre l’empire romain et l’empire perse sassanide aidant, le nestorianisme fut adopté dans la seconde moitié du Ve siècle par l’Église de l’Orient et se répandit ainsi en Mésopotamie, en Perse et jusqu’en Inde.
Vingt ans plus tard, en 451, au Concile de Chalcédoine, se déroula une nouvelle controverse christologique. Les Églises syrienne, égyptienne, éthiopienne et arménienne furent accusées de défendre une doctrine monophysite, selon laquelle la nature divine du Christ aurait absorbée sa nature humaine et que le Christ n’aurait en définitive qu’une seule nature, divine. Cette doctrine dénoncée aboutit à un nouveau schisme et les églises concernées, soucieuses de préserver leurs intérêts géopolitiques propres, devinrent autocéphales.
Au VIe siècle, le moine syrien Jacques Baradaï, réorganisa l’église syriaque. Après son ordination épiscopale, il entreprit un grand voyage dans toutes les régions syriaques pour ordonner nombre d’évêques, de prêtres et de diacres. C’est en son honneur qu’on qualifiera l’Église syriaque de « Jacobite ». Cette Église (orthodoxe) connut un schisme au XVIIIe siècle, en 1783, qui donna naissance à l’Église Syriaque-Catholique rattachée à Rome.
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[1] In « Vie et mort des chrétiens d’Orient. Des origines à nos jours », Jean-Pierre Valogne, Fayard, Mars 1994, p.737
[2] In « Histoire de l’église de l’Orient », Raymond Le Coz, Le Cerf, Septembre 1995, p. 31.
[3] In « Histoire de l’église de l’Orient », Raymond Le Coz, Le Cerf, Septembre 1995, p. 33.
Fragments d’histoire chrétienne de Mossoul
Mossoul « reste une métropole chrétienne[1] », ce qu’atteste l’ensemble de son histoire et de son patrimoine ancien et contemporain, en dépit d’une actualité catastrophique.
Si le premier évêché y est attesté en 554[2], il faut aussi tenir compte de la tradition apostolique paléochrétienne. « C’est ainsi que trois églises se glorifient d’avoir eu chacune pour fondation une maison où un apôtre aurait séjourné. L’église Sham’ûn al-Safa’ [construite pendant la période atabeg XIIe-XIIIe siècles] serait bâtie sur le lieu habité par Saint Pierre lors d’une visite en Babylonie et l’église de Mâr Théodoros se rattacherait au passage de l’apôtre Barthélémy. Quant à l’apôtre Saint Thomas en route vers l’Inde, la maison où il aurait reçu l’hospitalité devint église[3] ». Cette église est précisément l’église syriaque-orthodoxe Mar Touma.
La première église attestée à Ninive (aujourd’hui Mossoul-Est) date de l’an 570. On en trouve la trace dans la « Chronique de Séert ». Il s’agit de l’église Mar Isha’ya. De fait cela confirme la préexistence d’une communauté chrétienne. Au VIIe siècle l’église Mar Touma de la communauté syriaque-orthodoxe était également connue. Le monastère Mar Gabriel fut dès le VIIe siècle le siège d’une grande école théologique et liturgique de l’Église de l’Orient. C’est sur l’emplacement de ce couvent que fut édifié au XVIIIe siècle l’église al Tahira des Chaldéens[4].
Au long des siècles, au fur et à mesure des conciles et des conflits s’est constituée à Mossoul une multiplicité d’églises de toutes confessions, y compris arménienne et latine.
Parmi ces fragments d’histoire, citons notamment la conquête musulmane. Mossoul tomba en 641 et ses chrétiens devinrent des dhimmis, soumis aux droits (limités) et devoirs (contraignants) qu’implique leur appartenance confessionnelle. Ce statut perdura jusqu’au XIXe et fut abolit dans l’Empire ottoman en 1855. Malgré cette abolition, la dhimmitude des Chrétiens (et des Juifs) détermine encore aujourd’hui de facto les rapports confessionnels dans la vie publique et dans les mentalités dans presque tous les pays musulmans. Il est encore appliqué de jure (en Iran).
Aux XIIe et XIIIe siècles, en pleine période turque-seldjoukide, les dynastes Atabegs s’imposèrent dans toute la Mésopotamie irakienne et firent de Mossoul un haut lieu de pouvoir. A cette époque les Syriaques-Orthodoxes persécutés à Tikrit s’implantèrent dans la plaine de Ninive ainsi qu’à Mossoul, où ils développèrent leur communauté et fondèrent l’église Mar Ahûdêmmêh (Hûdéni). « A la fin du XXe siècle, à cause de l’inondation des sous-sol du quartier, l’église Mar Hûdéni, située bien en dessous du niveau du sol fut inondée et dut être abandonnée. Une nouvelle fut construite juste au dessus de l’ancienne. On a fort heureusement transporté et mis en évidence dans la nouvelle église la Porte Royale de style atabeg que le père Fiey qualifie de ‘joyau de la sculpture chrétienne du XIIIe siècle’. »[5]
Succédant aux Atabegs, le Mongol Houlagou Khan prit Mossoul mais épargna la cité de la destruction et des massacres qu’il commit à Bagdad en 1258, grâce « au très habile gouverneur de la ville, Lû’lû’, d’origine arménienne[6] ». Le siècle suivant fut néanmoins tragique. « Les persécutions chrétiennes atteignent leur paroxysme sous Tamerlan, dont les armées ravagent le Moyen-Orient dans les premières années du XIVe siècle et y exterminent les populations chrétiennes. Aucune chrétienté orientale n’ayant dû subir une entreprise d’éradication comparable, celle d’Irak peut à bon droit revendiquer la palme du martyre »[7].
En 1516, Mossoul tomba une première fois aux mains des Turcs ottomans, mais c’est au siècle suivant qu’ils établirent durablement et pour 4 siècles leur domination sur la Mésopotamie irakienne après la conquête de Bagdad en 1638 par le sultan Murad IV.
Mossoul au XVIe siècle fut un grand centre de rayonnement chrétien. C’est là que se déroula le schisme de l’Église de l’Orient, avec l’élection de Yohanès Soulaqa en tant que premier patriarche de l’Église chaldéenne. Supérieur du monastère de Rabban Hormizd d’Alqosh, il prit le nom de Jean VIII et se rendit à Rome pour y faire profession de foi catholique. Le 20 avril 1553, le pape Jules III le proclama patriarche de l’Église chaldéenne catholique « dont la naissance est dès lors officielle [8] ». Après Diyarbakır (sud-est de l’actuelle Turquie) et avant Bagdad (en 1950), c’est à Mossoul, en 1830, que fut établit le siège de l’église chaldéenne, avec l’élection au trône patriarcal du métropolite de Mossoul, Jean VIII Hormez.
En 1743, les chrétiens de Mossoul participèrent activement à la défense de la ville pendant le siège de 42 jours que conduisit le Perse Nâdir Shâh qui avait au préalable pillé et ravagé la plaine de Ninive. Victorieux et reconnaissant le pacha de Mossoul Husayn Djalîlî, « obtint un firman de Constantinople en faveur des églises de Mossoul[9] ». En 1744 furent ainsi construites les deux églises al Tahira de Mossoul, l’une pour les Chaldéens, l’autre pour les Syriaques-Catholiques (restauration, reconstruction pour cette dernière). D’autre part, les églises endommagées par les bombes furent restaurées.
Après le schisme de l’Église syriaque (orthodoxe jacobite) en 1783 et la création de l’Église syriaque-catholique, les Églises syriaque-orthodoxe et syriaque-catholique eurent un conflit sur la propriété et l’usage des églises. Ce conflit fut résolu à Mossoul par la construction de nouvelles églises, al Tahira et Mar Touma en 1862, et par la publication d’un firman (décret) ottoman en 1879 répartissant les biens et propriétés d’églises et monastères entre les deux confessions. Le premier évêque syriaque-catholique du diocèse de Mossoul fut Quorls Bchara Bhnam Akhtal (1760-1828).
Le XVIIe siècle marqua l’ouverture des missions latines en Mésopotamie irakienne. Les Frères Capucins ouvrirent leur première maison à Mossoul en 1636. Les Dominicains de la Province de Rome arrivèrent en 1750, suivis de ceux de la Province de France en 1859. Sous leur impulsion fut construite la grande église latine Notre-Dame de l’Heure, « de style romano-byzantin, entre 1866 et 1873[10] », à qui l’impératrice Eugénie de Montijot, épouse de Napoléon III, offrit en 1880 la célèbre horloge qui fut installée dans le premier clocher-campanile construit sur le sol irakien. Depuis presque trois siècles, les membres de la Mission dominicaine de Mésopotamie, de Kurdistan et d’Arménie sont des acteurs, des experts et des témoins essentiels de l’histoire chrétienne irakienne.
Un point de rupture eût lieu en 1915-1918 lors du génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens de l’Empire ottoman. Nombre de rescapés s’installèrent en Mésopotamie irakienne et notamment à Mossoul où préexistaient des communautés chrétiennes. Au cours de période, en janvier 1916 en 2 nuits seulement, 15000 déportés arméniens à Mossoul et dans ses environs furent exterminés, attachés 10 par 10, et jetés dans les eaux du Tigre. Déjà, bien avant ce carnage, dès le 10 juin 1915, le consul allemand à Mossoul, Holstein, télégraphia à son ambassadeur des scènes édifiantes: « 614 arméniens (hommes, femmes, enfants) expulsés de Diarbékyr et acheminés sur Mossoul ont tous été abattus en voyage pendant le voyage en radeau (sur le Tigre). Les kelek sont arrivés vides hier. Depuis quelques jours le fleuve charrie des cadavres et des membres humains (…)[11]»
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[1] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Éditions La Thune, Marseille, 2015, p.88
[2] In « Assyrie Chrétienne », vol.II, Jean-Maurice Fiey. Beyrouth, 1965. P. 115-116. Voir aussi « Mossoul chrétienne » de Jean-Maurice Fiey.
[3] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 89
[4] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 92-93
[5] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 94
[6] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 95
[7] In « Vie et mort des chrétiens d’Orient », Jean-Pierre Valogne, Fayard, Mars 1994, p.740
[8] In « Histoire de l’Église de l’Orient », Raymond Le Coz, Cerf, septembre 1995, p. 328
[9] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 97
[10] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 102
[11] In « L’extermination des déportés arméniens ottomans dans les camps de concentration de Syrie-Mésopotamie ». N° spécial de la Revue d’Histoire Arménienne Contemporaine, Tome II, 1998. Raymond H.Kevorkian. p.15
Histoire contemporaine de Mossoul
Au passage de l’an 2000, « 50 000 Chrétiens vivaient à Mossoul »[1]. Pendant 11 ans, entre la chute du régime de Saddam Hussein le 9 avril 2003 et l’invasion de daesh le 10 juin 2014, les habitants de Mossoul subirent la terreur des gangs islamico-mafieux de l’organisation Al-Qaïda, « qui procédaient aux enlèvements, aux meurtres, aux rackets à l’encontre des chrétiens de la ville »[2]. Tout au long de cette période, les crimes et délits contre les Chrétiens, laïcs et ecclésiastiques, se multiplièrent et les contraignirent à l’exil.
Le 1er août 2004, les attaques simultanées contre 5 églises de Mossoul et de Bagdad constituèrent le point de départ de l’exode des Chrétiens de Mossoul vers les zones protégées de la plaine de Ninive, vers le Kurdistan d’Irak et vers l’étranger. Les années qui suivirent à Mossoul furent terribles.
Le 6 janvier 2008, jour de l’épiphanie, puis le 9 janvier des actions criminelles visèrent plusieurs édifices chrétiens de Mossoul et de Kirkouk.
C’est dans ce climat terrifiant que fut enlevé Monseigneur Paulos Faraj Rahho, archevêque chaldéen de Mossoul. « Le 13 février 2008, alors qu’il accueillait la délégation de Pax Christi, dans l’église de Karemlesse, tout près de Mossoul, le prélat révélait avoir été menacé par un groupe terroriste quelques jours plus tôt : – ‘Ta vie ou cinq-cent-mille dollars, lui dirent les terroristes’. – ‘Ma vie ne vaut pas ce prix !’ leur a-t-il répondu. Un mois plus tard, le 13 mars, Monseigneur Rahho était retrouvé mort aux portes de la ville[3]. »
Quand daesh prit le pouvoir à Mossoul, en 2014, le régime proto-étatique institué paracheva et amplifia la catastrophe. Finie l’anarchie, place à l’ordre nouveau et au califat ! La tyrannie fut érigée en système politique, avec à sa tête un calife autoproclamé le 29 juin 2014, Abou Bakr al-Baghdadi, qui apparut publiquement le 4 juillet 2014 au cours d’un prêche à la grande mosquée al-Nouri. Dès qu’il s’empara de Mossoul, l’État Islamique mit en œuvre sa politique totalitaire contre les habitants non sunnites, c’est à dire les Chiites, les Chabaks, les Chrétiens et les Yézidis. Les 5000 ultimes Chrétiens de Mossoul qui n’avaient pas fui quand daesh pénétra dans la cité, virent leurs maisons frappées du signe Nazrani (Nazaréen, c’est à dire disciples de Jésus). Ainsi stigmatisés, ils se virent infligés le 17 juillet un ultimatum : ils furent sommés de se convertir à l’islam (sunnite-salafiste), de payer la djizia (l’impôt des dhimmis), de partir ou de périr. L’issue fut inéluctable. Tous prirent la route de l’exode vers la plaine de Ninive et le Kurdistan d’Irak et au passage furent dépouillés de tout. Leur patrimoine monumental abandonné fut en grande partie pillé, vandalisé et profané.
Après la défaite militaire de daech dans la plaine de Ninive à l’automne 2016, les Chrétiens déplacés retournèrent progressivement dans leurs villages dès avril 2017. Ils y reprirent possession de leurs maisons et de leurs églises souvent saccagées et incendiées. Mossoul ne fut cependant libérée que 10 mois plus tard, au cours de l’été 2017, par la coalition internationale, qui écrasa non seulement daesh sous un déluge de feu, mais pulvérisa malheureusement aussi certains des plus grands édifices assyriens, juifs, chrétiens et musulmans de Mossoul.
Contrairement aux Chrétiens déplacés de la plaine de Ninive, ceux de Mossoul ne retournèrent pas dans leurs foyers. L’ampleur des destructions patrimoniales dans la vieille ville imputables non seulement à daesh, le souvenir des persécutions commises depuis 2003, l’impunité des criminels toujours en liberté, l’humiliation collective subie et l’effondrement de la confiance envers les voisins musulmans rendent encore improbable toute perspective de retour massif, même si quelques dizaines de familles courageuses sont revenues.,
Depuis la libération de Mossoul des efforts remarquables sont heureusement consentis pour reconstruire l’espoir d’une nouvelle fraternité et tenter de promouvoir localement la renaissance d’une communauté chrétienne. Plusieurs personnalités et organisations françaises, y prennent une part active, en soutien aux églises locales. Citons-en trois : l’Œuvre d’Orient, Fraternité en Irak, la Fondation Saint-Irénée.
Ainsi, répondant à l’appel du Patriarche des Chaldéens, Louis Raphaël 1er Sako, et en lien avec les autorités de la ville, l’Œuvre d’Orient a soutenu la restauration de l’église chaldéenne Saint Paul de Mossoul-Est. Le père Thabet, curé chaldéen de Karamlesse et de Mossoul a joué un rôle important dans ce renouveau, mobilisant des jeunes volontaires de Mossoul, chrétiens et musulmans, qui, ensemble, nettoyèrent l’église. Une veillée de Noël y fut célébrée le 24 décembre 2017 au matin par le Patriarche chaldéen, avec les représentants des églises sœurs, l’archevêque syriaque-catholique Petros Mouché et l’archevêque syriaque-orthodoxe Nicodemus Daoud et en présence des autorités politiques, civiles et militaires mossouliotes « pour un moment de foi, de courage, de pardon, et de fraternité des églises[4] ». Ce faisant, l’église Saint Paul est devenue la première paroisse chrétienne réhabilitée de Mossoul. Le 24 janvier 2019, le nouvel archevêque chaldéen de Mossoul, Mgr Najeeb Michaeel, nommé le 22 décembre 2018, est venu célébrer dans cet édifice totalement restauré, en présence d’une foule compacte. Le 21 avril 2019, quelques dizaines de personnes, sont venues célébrer Pâques dans l’église Saint Paul avec son archevêque.
Dans la vieille ville de Mossoul, là où se concentrait le patrimoine chrétien pluriséculaire, l’église syriaque-catholique Mar Touma a été rendue au culte et partiellement rénovée, là encore avec le concours de l’Œuvre d’Orient. Les autels y ont été restaurés par les architectes Guillaume et Laure de Beaurepaire. Depuis 2018, chaque 3 juillet, on y fête son Saint patron Thomas, l’apôtre de la Mésopotamie, en présences de nombreux fidèles et ecclésiastiques.
Enfin à Mossoul-Est, le père Emmanuel, curé de l’église syriaque-catholique Al-Bichara de Mossoul-Est, a mobilisé plusieurs partenaires français (Œuvre d’Orient, Fraternité en Irak, Fondation Saint-Irénée) et irakiens pour reconstruire son église, édifier un presbytère et une résidence étudiante. L’inauguration civile s’est déroulée le 7 décembre 2019 en présence des plus hautes autorités locales et régionales et la consécration de l’église a eu lieu le lendemain, le 8 décembre 2019.
En définitive, à Mossoul, toute perspective de renouveau et de retour des déplacés « implique à minima la réhabilitation et la revitalisation du patrimoine, mais aussi et nécessairement le retour de la sécurité et la reconstruction d’un climat de confiance »[5].
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[1] Source Père Emmanuel Kallo, curé syriaque-catholique de 3 églises syriaques-catholiques de Mossoul, dont l’église Al-Bichara de Mossoul-Est. Propos recueillis par Mesopotamia le 15 avril 2017. Cette évaluation n’est pas celle de Christian Lochon, directeur honoraire des études au CHEAM, qui évoque 25 000 Chrétiens à Mossoul en 2003, avant la chute du régime de Saddam Hussein, dans la Revue de l’Œuvre d’Orient, « Qaraqoche ou la disparition des chrétiens de la plaine de Ninive », 2015, p.136-137
[2] In Revue de l’Œuvre d’Orient, « Qaraqoche ou la disparition des chrétiens de la plaine de Ninive », Christian Lochon, directeur honoraire des études au CHEAM, 2015, p.136-137
[3] In « Chrétiens d’Orient : ombres et lumières », de Pascal Maguesyan, Éditions Thaddée, septembre 2013, réédité janvier 2014, p. 260
[4] https://oeuvre-orient.fr/actualites/loeuvre-dorient-va-reconstruire-leglise-saint-paul-de-mossoul-irak/
[5] in « Le Bulletin de l’ Œuvre d’Orient », n°798, Janvier-Mars 2020, Pascal Maguesyan
Histoire de l’église Al-Bichara de Mossoul-Est avant daesh
L’église Al-Bichara de Mossoul-Est a été créée en 1970 pour accompagner l’expansion urbaine de la ville de Mossoul et le déménagement des familles chrétiennes de la rive droite (ouest) vers la rive gauche (est) de la ville.
Bien que les églises mères des Syriaques-Catholiques de Mossoul -la cathédrale Al-Tahira et l’église Mar Touma- restèrent très importantes les dimanches et jours de fêtes jusqu’au début des années 1990, le diocèse syriaque-catholique de Mossoul décida de construire l’église Al-Bichara, pour satisfaire aux exigences des familles dispersées dans les nouveaux quartiers orientaux de Mossoul [Hay Al-Mohandisine -le quartier des ingénieurs-, Al-Sukar, Al-Masarif, Al-Majmouaa al-thaqafiya, Al-Darqzliya, Al-Zhore, (…)] afin d’y célébrer les offices et les sacrements comme les baptêmes, les mariages, les funérailles, (…).
L’église Al-Bichara jouit d’un emplacement stratégique dans le quartier de Hay Al-Mohandisine, situé au centre des deux rives de la ville (la droite et la gauche) et donne sur des rues larges et faciles d’accès pour les véhicules, contrairement aux églises mères historiques -cathédrale Al-Tahira, église Mar Touma- qui se situent dans des ruelles anciennes et étroites…
Dans les années 1970-1980, les fidèles syriaques-catholiques ne célébraient à Al-Bichara que les messes dominicales, les temps forts liturgiques et les sacrements. Au début des années 1990, l’église commença à développer des activités pastorales comme le catéchisme pendant l’été. Au début des années 2000, l’église accrût encore son rôle, en raison des changements politiques consécutifs à la chute de régime de Saddam Hussein en 2003. Le chaos qui sévit alors dans tout le pays affecta sévèrement les Chrétiens, qui subirent persécutions, kidnappings et meurtres, en plus de leur marginalisation sociale, professionnelle et politique. Dès lors, les Chrétiens mossouliotes s’exilèrent par milliers. Toutefois et simultanément l’église Al-Bichara devint un sanctuaire pour les familles qui restèrent à Mossoul. L’église devint un lieu d’espérance apaisant et sécurisé où les chrétiens se retrouvaient non seulement pour célébrer les offices, mais aussi pour participer aux activités culturelles et sociales. Parmi ces activités, il y avait un forum de femmes impliquées dans l’église et dans la société, des rassemblements des jeunes, des réunions pour adolescents, des rencontres pour les personnes âgées et les familles, une crèche pour les enfants de 1 à 6 ans et une école maternelle.
L’église Al-Bichara, de Mossoul-Est au camp Ashti 2 d’Ankawa.
Après l’invasion de Mossoul par daesh le 10 juin 2014, les ultimes Chrétiens de Mossoul s’exilèrent vers la plaine de Ninive et le Kurdistan d’Irak. Beaucoup se regroupèrent à Erbil, capitale du Kurdistan d’Irak, et particulièrement dans le secteur nord, à Ankawa. Ils y trouvèrent refuge dans des abris précaires, sous tentes, dans des caravanes, des immeubles et des écoles.
Le camp de déplacés Ashti 2 d’Ankawa, où résidaient sous caravanes 1250 familles (5000 personnes) déplacées de la plaine de Ninive et de Mossoul, était dirigé par le père Emmanuel Kallo, curé de l’église syriaque-catholique Al-Bichara de Mossoul-Est, avec pour adjoint Ibrahim Lallo, diacre francophone de Bartella. Les conditions de vie y étaient éprouvantes, notamment lors des très fortes chaleurs de juin à septembre.
Dans ce camp, une nouvelle église Al-Bichara fut édifiée (36°13’56″N 44°00’34″E et 434 mètres d’altitude) afin de maintenir la vie liturgique et sacramentelle, grâce au soutien financier de l’association française Fraternité en Irak. L’édifice, en forme de grande halle a été construit sous la direction d’un ingénieur civil, Munthir Rufail, un syriaque-catholique lui-aussi déplacé de Bartella, avec des panneaux composites innovants de haute qualité et prêts à assembler de l’entreprise française Logelis.
L’église Al-Bichara du camp Ashti 2 d’Ankawa devint ainsi pendant 3 ans un pôle de rassemblement communautaire, pour aider les exilés et organiser des activités pastorales et culturelles pour les enfants et les adultes. La dernière célébration dans l’église Al-Bichara du camp Ashti 2 d’Ankawa présidée par le père Emmanuel Kallo a eu lieu le dimanche 2 juin 2018. Le 10 juin 2018, à la date anniversaire du départ de Mossoul, 4 ans plus tôt, a commencé le déménagement de cette église vers Mossoul-Est.
Vie de l’église Al-Bichara au camp Ashti 2 d’Ankawa : Témoignage de Pauline et Jean Bouchayer.
Des personnalités remarquables comme Pauline et Jean Bouchayer ont donné 2 ans de leur vie de couple au service des déplacés de la plaine de Ninive et de Mossoul, leur offrant le réconfort et la prière. Envoyés en Irak par l’archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, sous mandat de la Fidesco (organisation catholique de solidarité internationale) et en lien avec la Fondation Saint-Irénée du diocèse de Lyon, ils ont notamment dispensé des cours de français à l’école Saint-Irénée d’Ankawa.
Dans l’église Al-Bichara du camp Ashti 2 d’Ankawa, ils ont eu une importante mission de prière. « L’arrivée de Carine Neveu, sœur consacrée de la Communauté de l’Agneau, (…), a été une véritable bénédiction pour nous (…). Avec elle, nous faisons une école de prière pour enfants le vendredi matin dans le camp d’Ashti. C’est un moment très beau où nous pouvons voir la foi de ces enfants qui vient bousculer la nôtre. Par ailleurs, nous avons lancé durant les 3 dernières semaines avant Noël une veillée d’adoration le jeudi soir (en plus du mardi organisé par les Petites Sœurs de Jésus). Nous avons vraiment attendu avant de faire cette proposition que Abouna Emmanuel, prêtre directeur du camp, nous ait tous les 3 « apprivoisés » et qu’il ait confiance en nous (…). Ce fut un beau cadeau pour nous de pouvoir animer ces soirées de prières en français et en arabe et qu’il se joigne à nous. Pour le carême, il nous a demandé de recommencer 3 veillées. Nous sommes systématiquement épaulés par les Petites Sœurs de Jésus pour ces moments de prière. Nous sommes attentifs à ne jamais remplacer qui que ce soit et à être soit soutien, soit force de proposition mais de veiller à ne pas faire à leur place ».[1]
« Depuis l’arrivée de Carine, dont nous avons parlé dans nos précédents rapports, nous avions animé avec elle une école de prière pour les enfants dans le camp d’Ashti 2. Carine a un véritable charisme et une expérience de plusieurs années pour faire prier les enfants dans des contextes difficiles de post-urgence. Hélas, Carine est repartie pour la France le 31 mai. Elle a été d’un très grand soutien pour nous. Son expérience humanitaire et de missionnaire nous aura énormément aidés. (…) Avant son départ, Carine a fait une formation pour transmettre et diffuser l’école de prière. Elle considère en effet que la prière des petits enfants peut les restaurer lorsqu’ils ont vécu des situations traumatisantes. Ils ont une capacité bien plus grande qu’un adulte à s’abandonner à Dieu, ils ont un rapport plus simple au divin. Cette prière hebdomadaire d’une heure permet aux enfants ayant vécu des situations graves de s’apaiser petit à petit et d’être reliés à l’essentiel. Nous sommes également convaincus de cela et allons continuer à animer l’oratoire après son départ. Nous continuons aussi l’adoration du Saint Sacrement avec les petites sœurs de Jésus (sœurs de Charles de Foucauld) une fois par semaine dans l’église du camp »[2].
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[1] In Rapport de mission N°3. Mars 2017
[2] In Rapport de mission N°4. Juin 2017
La nouvelle église Al-Bichara, de Mossoul-Est
Pour inciter au retour, il devint nécessaire de reconstruire l’église Al-Bichara dans son espace originel, dans le quartier Hay Al-Mohandisine de Mossoul-Est. Plus qu’une église c’est un complexe qui a été recréé. Il comprend un presbytère, un lieu de rencontre pluriconfessionnel, une résidence pour loger les étudiants chrétiens et musulmans des universités de Mossoul. « Ce nouvel espace est porteur d’un message à l’ensemble de la société. Aux Chrétiens, afin qu’ils surmontent leur douleur et continuent d’œuvrer au salut de l’humanité. Aux musulmans également qui peuvent voir en ce lieu l’exemple vivant du pardon et le renoncement à toute malveillance, afin que la paix et la sécurité reviennent dans cette cité affligée. Car il n’a y pas de vie sans paix, pas de paix sans pardon, pas de pardon sans amour. Pour vivre ensemble, il faut l’amour, le pardon et la paix ».[1]
La nouvelle église Al-Bichara de Bichara a été reconstruite en lieu et place de l’ancienne ruinée par daesh. Le nouvel édifice est construit avec les panneaux composites Logelis démontés et déménagés du camp Ashti 2 d’Ankawa vers le site de Hay Al-Mohandisine à Mossoul-Est. Des améliorations importantes y ont été apportées et notamment un doublage extérieur en moellons traditionnels. Il fallait en effet donner à cette église la visibilité d’un édifice pérenne et non plus provisoire. La décoration intérieure a été enrichie de filets au plafond, de vitraux sur les murs latéraux et d’une architecture lumière particulièrement dense. Une allée à balustrades borde la façade principale de l’église. La cour du domaine tient lieu de parvis, autour de laquelle sont aménagés les autres bâtiments. C’est Fraternité en Irak qui a pris en charge financièrement la construction de cette nouvelle église Al-Bichara. L’Œuvre d’Orient a financé la construction du magnifique presbytère. La Fondation Saint-Irénée a pris en charge la résidence étudiante. L’inauguration civile le 7 décembre 2019, a été l’occasion de nombreux gestes fraternels entre chrétiens et musulmans, pleinement associés à la cérémonie inaugurale. La consécration de l’église, le 8 décembre 2019, en présence d’une foule très importante s’est faite en présence des plus hautes autorités chrétiennes irakiennes de toutes confessions et en présence du cardinal français Philippe Barbarin.
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[1] Père Emmanuel Kallo, curé syriaque-catholique de l’église Al-Bichara de Mossoul-Est. Extrait de son discours écrit à l’occasion de la Journée d’Étude « Quel avenir pour le patrimoine monumental des communautés chrétiennes et yézidies en Irak ? » organisée par Mesopotamia, le 29 Juin 2019, à Erbil International Hôtel.
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