L’église latine Notre-Dame de l’heure des dominicains à Mossoul
L’église latine Notre Dame de l’Heure des Dominicains de Mossoul se situe à 36.340886, 43.127331 et 230 mètres d’altitude, dans le secteur sud du vieux Mossoul délimité par les remparts ottomans, au carrefour des routes de Ninive et al Farooq.
Depuis 1750, les religieux membres de la Mission dominicaine de Mésopotamie, de Kurdistan et d’Arménie sont des acteurs, des experts et des témoins essentiels de l’histoire chrétienne irakienne et des périls auxquels font face les chrétiens du Proche-Orient.
La première église dominicaine de Mossoul fut construite par les Italiens. En lieu et place fut édifiée entre 1866 et 1873 la nouvelle et grande église latine des Dominicains de la Province de France. C’est un édifice imposant, tout à la fois massif et élancé, « de style romano-byzantin », à triple nef et cinq travées.
Le célèbre campanile de l’église Notre Dame de l’Heure se dresse au nord, entre deux absidioles. L’impératrice Eugénie de Montijo, épouse de Napoléon III, offrit et finança en 1880 ce premier clocher irakien dans lequel fut installée en 1881 la célèbre horloge à quatre cadrans financée par le gouvernement français à la demande du consul de France à Mossoul. C’est ainsi que la célèbre horloge donna l’heure à toute la ville.
Restauré dans les années 2000, le couvent a été pillé et dévasté quinze ans plus tard, pendant les trois années d’occupation de Mossoul par l’organisation Etat Islamique.
Photo : L’église latine Notre Dame de l’Heure des Dominicains de Mossoul, saccagée et pillée pendant l’occupation de Mossoul par daesh (2014-2017) et endommagée lors de la bataille pour la libération de la ville (2017). Avril 2018 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Localisation :
L’église latine Notre Dame de l’Heure des Dominicains de Mossoul se situe à 36.340886, 43.127331 et 230 mètres d’altitude, dans le secteur sud du vieux Mossoul délimité par les remparts ottomans, au carrefour des deux grands axes de circulation : les routes de Ninive et Farouq.
Fragments d’histoire chrétienne de Mossoul :
Chapitre fondé en grande partie sur les travaux de Fr. Jean-Marie Mérigoux, o.p. qui vécut 14 ans en Irak, de 1968 à 1983, dans le cadre de la Mission dominicaine de Mésopotamie, de Kurdistan et d’Arménie, dont le centre était à Mossoul. Voir notamment deux des livres de Fr. Jean-Marie Mérigoux : « Va à Ninive ! Un dialogue avec l’Irak », Éditions du Cerf, Octobre 2000 ; et « Entretien sur l’Orient chrétien », Éditions La Thune, Marseille, Juillet 2015.
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Mossoul « reste une métropole chrétienne[1] », ce qu’atteste l’ensemble de son histoire et de son patrimoine ancien et contemporain, en dépit d’une actualité catastrophique.
Si le premier évêché y est attesté en 554[2], il faut aussi tenir compte de la tradition apostolique paléochrétienne. « C’est ainsi que trois églises se glorifient d’avoir eu chacune pour fondation une maison où un apôtre aurait séjourné. L’église Sham’ûn al-Safa’ [construite pendant la période atabeg XIIe-XIIIe siècles] serait bâtie sur le lieu habité par Saint Pierre lors d’une visite en Babylonie et l’église de Mâr Théodoros se rattacherait au passage de l’apôtre Barthélémy. Quant à l’apôtre Saint Thomas en route vers l’Inde, la maison où il aurait reçu l’hospitalité devint église[3] ». C’est précisément l’église syriaque-orthodoxe Mar Touma.
La première église attestée à Ninive (aujourd’hui Mossoul-Ouest) date de l’an 570. On en trouve la trace dans la « Chronique de Séert ». Il s’agit de l’église Mar Isha’ya. De fait cela confirme la préexistence d’une communauté chrétienne. Au VIIe siècle l’église Mar Touma de la communauté syriaque-orthodoxe était également connue. Le monastère Mar Gabriel fut dès le VIIe siècle le siège d’une grande école théologique et liturgique de l’Église de l’Orient. C’est sur l’emplacement de ce couvent que fut édifié au XVIIIe siècle l’église al Tahira des Chaldéens[4].
Au long des siècles, au fur et à mesure des conciles et des conflits, s’est constituée à Mossoul une multiplicité d’églises de toutes confessions, y compris arménienne et latine.
Parmi ces fragments d’histoire, citons notamment la conquête musulmane. Mossoul tomba en 641 et ses chrétiens devinrent des dhimmis, soumis aux droits (limités) et devoirs (contraignants) qu’impliquent leur appartenance confessionnelle. Ce statut perdura jusqu’au XIXe siècle et fut aboli dans l’Empire ottoman en 1855. Malgré cette abolition, la dhimmitude des Chrétiens (et des Juifs) détermine encore aujourd’hui de facto les rapports confessionnels dans la vie publique et dans les mentalités dans presque tous les pays musulmans. Il est encore appliqué de jure (en Iran).
Aux XIIe et XIIIe siècles, en pleine période turque-seldjoukide, les dynastes Atabegs s’imposèrent dans toute la Mésopotamie irakienne et firent de Mossoul un haut lieu de pouvoir. À cette époque les Syriaques-Orthodoxes persécutés à Tikrit s’implantèrent dans la plaine de Ninive ainsi qu’à Mossoul, où ils développèrent leur communauté et fondèrent l’église Mar Ahûdêmmêh (Hûdéni). « A la fin du XXesiècle, à cause de l’inondation des sous-sol du quartier, l’église Mar Hûdéni, située bien en dessous du niveau du sol fut inondée et dut être abandonnée. Une nouvelle fut construite juste au dessus de l’ancienne. On a fort heureusement transporté et mis en évidence dans la nouvelle église la Porte Royale de style atabeg que le père Fiey qualifie de ‘joyau de la sculpture chrétienne du XIIIe siècle’. »[5]
Succédant aux Atabegs, le Mongol Houlagou Khan prit Mossoul mais épargna la cité de la destruction et des massacres qu’il commit à Bagdad en 1258, grâce « au très habile gouverneur de la ville, Lû’lû’, d’origine arménienne[6] ». Le siècle suivant fut néanmoins tragique. « Les persécutions chrétiennes atteignent leur paroxysme sous Tamerlan, dont les armées ravagent le Moyen-Orient dans les premières années du XIVe siècle et y exterminent les populations chrétiennes. Aucune chrétienté orientale n’ayant dû subir une entreprise d’éradication comparable, celle d’Irak peut à bon droit revendiquer la palme du martyre »[7].
En 1516, Mossoul tomba une première fois aux mains des Turcs ottomans, mais c’est au siècle suivant qu’ils établirent durablement et pour 4 siècles leur domination sur la Mésopotamie irakienne après la conquête de Bagdad en 1638 par le sultan Murad IV.
Mossoul au XVIe siècle fut un grand centre de rayonnement chrétien. C’est là que se déroula le schisme de l’Église de l’Orient, avec l’élection de Yohanès Soulaqa en tant que premier patriarche de l’Église chaldéenne. Supérieur du monastère de Rabban Hormizd d’Alqosh, il prit le nom de Jean VIII et se rendit à Rome pour y faire profession de foi catholique. Le 20 avril 1553, le pape Jules III le proclama patriarche de l’Église chaldéenne catholique « dont la naissance est dès lors officielle [8] ». Après Diyarbakır (sud-est de l’actuelle Turquie) et avant Bagdad (en 1950), c’est à Mossoul, en 1830, que fut établit le siège de l’église chaldéenne, avec l’élection au trône patriarcal du métropolite de Mossoul, Jean VIII Hormez.
En 1743, les chrétiens de Mossoul participèrent activement à la défense de la ville pendant le siège de 42 jours que conduisit le Perse Nâdir Shâh qui avait au préalable pillé et ravagé la plaine de Ninive. Victorieux et reconnaissants le pacha de Mossoul Husayn Djalîlî, « obtint un firman de Constantinople en faveur des églises de Mossoul[9] ». En 1744 furent ainsi construites les deux églises al Tahira de Mossoul, l’une pour les Chaldéens, l’autre pour les Syriaques-Catholiques. D’autre part, les églises endommagées par les bombes furent restaurées.
Le XVIIe siècle marqua l’ouverture des missions latines en Mésopotamie irakienne. Les Frères Capucins ouvrirent leur première maison à Mossoul en 1636. Les Dominicains de la Province de Rome arrivèrent en 1750, suivis de ceux de la Province de France en 1856 avec le père Hyacinthe Besson. Un point de rupture eût lieu en 1915-1918 lors du génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens de l’Empire ottoman. Nombre de rescapés s’installèrent en Mésopotamie irakienne et notamment à Mossoul où préexistaient des communautés chrétiennes. Au cours de cette période, en janvier 1916 en 2 nuits seulement, 15 000 déportés arméniens à Mossoul et dans ses environs furent exterminés, attachés 10 par 10, et jetés dans les eaux du Tigre. Déjà, bien avant ce carnage, dès le 10 juin 1915, le consul allemand à Mossoul, Holstein, télégraphia à son ambassadeur des scènes édifiantes : « 614 arméniens (hommes, femmes, enfants) expulsés de Diarbékyr et acheminés sur Mossoul ont tous été abattus en voyage pendant le voyage en radeau (sur le Tigre). Les kelek sont arrivés vides hier. Depuis quelques jours le fleuve charrie des cadavres et des membres humains (…)[11]».
La chute de Saddam Hussein en 2003 et le développement du fondamentaliste islamico-mafieux eurent un impact considérable sur l’effondrement démographique des communautés chrétiennes d’Irak, tout particulièrement à Mossoul. Le 1er août 2004, les attaques simultanées contre 5 églises de Mossoul et de Bagdad constituèrent le point de départ de l’exode des Chrétiens de Mossoul vers les zones protégées de la plaine de Ninive, vers le Kurdistan d’Irak et vers l’étranger. Les années qui suivirent à Mossoul furent terribles. Les assassinats et kidnappings ciblés des Chrétiens accentuèrent l’exode. Le 6 janvier 2008, jour de l’épiphanie, puis le 9 janvier des actions criminelles visèrent plusieurs édifices chrétiens de Mossoul et de Kirkouk.
C’est dans ce climat terrifiant que fut enlevé Monseigneur Paulos Faraj Rahho, archevêque chaldéen de Mossoul. « Le 13 février 2008, alors qu’il accueillait la délégation de Pax Christi, dans l’église de Karemlesse, tout près de Mossoul, le prélat révélait avoir été menacé par un groupe terroriste quelques jours plus tôt : – ‘Ta vie ou cinq-cent-mille dollars, lui dirent les terroristes’. – ‘Ma vie ne vaut pas ce prix !’ leur a-t-il répondu. Un mois plus tard, le 13 mars, Monseigneur Rahho était retrouvé mort aux portes de la ville[12]. »
Entre juin 2014 et juillet 2017, Mossoul tomba aux mains des combattants islamistes de daesh. Les quelques 10 000 chrétiens qui résidaient encore dans la cité, virent leurs maisons frappées du signe Nazrani (Nazaréen, c’est à dire disciples de Jésus). Ainsi stigmatisés, ils furent sommés de se convertir à l’islam, de partir, ou de mourir. Ils fuirent la métropole massivement et en toute hâte, et durent abandonner leur patrimoine, chrétien, qui fut en grande partie pillé, vandalisé et profané. La bataille de Mossoul et les bombardements de la coalition internationale qui écrasèrent les combattants de daesh sous un déluge de feu, réduisirent en poussière certains des plus grands édifices chrétiens (et musulmans) de Mossoul, comme la mosquée Nabi Younès (la mosquée du prophète Jonas) qui fut un couvent nestorien jusqu’au VIIe siècle, ainsi que l’un des plus anciens monastères irakiens, le monastère Mar Elia, édifié au VIe siècle.
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[1] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Éditions La Thune, Marseille, 2015, p.88
[2] In « Assyrie Chrétienne », vol.II, Jean-Maurice Fiey. Beyrouth, 1965. P. 115-116. Voir aussi « Mossoul chrétienne » de Jean-Maurice Fiey.
[3] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 89
[4] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 92-93
[5] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 94
[6] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 95
[7] In « Vie et mort des chrétiens d’Orient », Jean-Pierre Valogne, Fayard, Mars 1994, p.740
[8] In « Histoire de l’Église de l’Orient », Raymond Le Coz, Cerf, septembre 1995, p. 328
[9] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 97
[10] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 102
[11] In « L’extermination des déportés arméniens ottomans dans les camps de concentration de Syrie-Mésopotamie ». N° spécial de la Revue d’Histoire Arménienne Contemporaine, Tome II, 1998. Raymond H.Kevorkian. p.15
[12] In « Chrétiens d’Orient : ombres et lumières », de Pascal Maguesyan, Éditions Thaddée, septembre 2013, réédité janvier 2014, p. 260
Histoire et actualité de la présence dominicaine en Irak et à Mossoul :
[1] Chapitre fondé en partie sur les travaux de Fr. Jean-Marie Mérigoux, o.p. qui vécut 14 ans en Irak, de 1968 à 1983, dans le cadre de la Mission dominicaine de Mésopotamie, de Kurdistan et d’Arménie, dont le centre était à Mossoul. Voir notamment deux de ses livres: « Va à Ninive ! Un dialogue avec l’Irak », Éditions du Cerf, Octobre 2000 ; et « Entretien sur l’Orient chrétien », Éditions La Thune, Marseille, Juillet 2015.
La présence dominicaine en Mésopotamie est l’accomplissement du vœu de Saint Dominique (1170-1221) lui-même, le fondateur de l’Ordre des Frères Prêcheurs (1215). Dès 1235, un des compagnons de Saint Dominique, le Frère Guillaume de Montferrat, qui reçut l’habit dominicain de la main même de Saint Dominique, fut envoyé en Orient par le pape Grégoire IX. Arrivé en Mésopotamie en 1237, on dit qu’il se rendit à Bagdad à la cour du calife. Un autre grand missionnaire et voyageur dominicain, le florentin Riccoldo da Monte di Croce se rendit à Mossoul et Bagdad en 1290.
C’est pourtant au XVIIIe siècle que l’Ordre s’établit durablement dans la région. Les deux premiers Frères de la Mission dominicaine de Mésopotamie, de Kurdistan et d’Arménie, créée par décret pontifical du 15 décembre 1749, arrivèrent à Mossoul en 1750. Italiens, membres de la Province de Rome, ils furent envoyés par le pape Benoît XIV, qui était lui-même dominicain. Le premier supérieur de la Mission fut le père Domenico Lanza. Accueillis avec considération par la famille des pachas Djalîlî de Mossoul et installés dans leur propre quartier, dans un contexte favorable aux Chrétiens de l’Empire ottoman, les Dominicains italiens posèrent les jalons des œuvres accomplies par l’Ordre depuis lors, et notamment les écoles et les dispensaires.
Après restauration de la Province dominicaine de France grâce au père Henri Lacordaire, le pape Pie IX envoya entre 1856 et 1858 huit Dominicains français à Mossoul pour succéder aux Italiens. Ils y développèrent les écoles et créèrent en 1857, à l’initiative du père Jean-Baptiste Besson, la première imprimerie lithographique d’Irak, puis en 1860 une imprimerie moderne, qui édita nombre de livres en arabe, en français et en syriaque, parmi lesquels la première Bible en langue arabe d’Irak, la Peshitta (la Bible en langue syriaque), ainsi que le Nouveau Testament en syriaque occidental (…). Cette remarquable imprimerie fut détruite par les Turcs-ottomans en 1915 lors de la première guerre mondiale.
Les Dominicains fondèrent aussi en 1878, à la demande du pape Léon XIII le Séminaire œcuménique Saint-Jean pour les Catholiques syriaques et chaldéens. Le Séminaire forma un grand nombre de religieux et de laïcs, devenus de grands lettrés et souvent parfaitement francophones.
En 1873, six dominicaines de la communauté des Sœurs de la Présentation de Tours arrivèrent à Mossoul.Elles ouvrirent la voie à la naissance en 1877 de la Congrégation autochtone de Sainte Catherine de Sienne, composée de sœurs « catherinettes ». Elles accomplirent leur mission apostolique, éducative et médicale tout spécialement auprès des femmes et créèrent notamment en 1874 un hospice à Mossoul au nom du général Baron Lejeune, un orphelinat et des écoles pour filles.
Pendant la première guerre mondiale, les Dominicains français furent les témoins directs du génocide des Arméniens et des Assyro-chaldéo-syriaques par les dirigeants Jeunes-Turcs de l’Empire ottoman. Expulsés de Mossoul en 1915, ils revinrent en 1919-1920 quand la Mésopotamie passa sous mandat britannique.
Malgré la fermeture du séminaire Saint-Jean de Mossoul en 1976, puis le départ contraint des Dominicains français, la présence dominicaine en Irak perdure grâce aux vocations irakiennes. Ainsi, c’est à Mossoul en 1990, que furent posées les fondations de la création du Centre Numérique et de Recherche sur les Manuscrits Orientaux (C.N.M.O. – C.R.M.O.) par le Frère Najeeb Michaeel. En 1995, les Dominicains se virent ainsi confiés la célèbre revue avant-gardiste La Pensée Chrétienne, créée 31 ans plus tôt à Mossoul par la Communauté des Prêtres du Christ Roi.
Depuis 2003, les Frères et les Sœurs de l’Ordre de Saint Dominique maintiennent contre vents et marées leur apostolat, tout en subissant les mêmes souffrances et les mêmes désastres qui affligent l’Irak et sa population.
De grandes figures dominicaines émergent de ce chaos comme Najeeb Michaeel, nommé archevêque chaldéen de Mossoul par le pape François le 22 décembre 2018[1]. Le fondateur du Centre Numérique des Manuscrits Orientaux (C.N.M.O.), déplaça, sous la pression des groupes criminels et fondamentalistes, le Centre et ses archives pluriséculaires, de Mossoul à Qaraqosh puis de Qaraqosh à Erbil, dans des conditions souvent invraisemblables et parfois dramatiques. On peut aussi souligner le remarquable engagement de Monseigneur Thomas Yousif Mirkis, archevêque de Kirkouk. Né à Mossoul, cet éminent théologien, linguiste, historien et anthropologue irakien, ancien supérieur de la communauté dominicaine, multiplie dans son diocèse les projets éducatifs, sociaux et spirituels au bénéfice de toutes les communautés confessionnelles.
On notera enfin que la majeure partie des archives anciennes de la Mission dominicaine de Mésopotamie, de Kurdistan et d’Arménie ont été transférées en 1975 à Paris, à la Bibliothèque du Saulchoir, à côté du couvent dominicain Saint Jacques. Ce Fonds Mossoul ravive en textes et en images une aventure missionnaire exceptionnelle en Irak.
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[1] Monseigneur Najeeb Michaeel a été ordonné archevêque de Mossoul et Aqra le 18 janvier 2019, en la cathédrale Mar Youssef de Bagdad par le patriarche chaldéen, Louis Raphaël 1er Sako. Le cardinal et archevêque de Lyon Philippe Barbarin, qui créa le jumelage des diocèses de Lyon et Mossoul, participa à cette ordination épiscopale.
Histoire et description de l’église latine Notre Dame de l’Heure des Dominicains de Mossoul.
L’église latine Notre-Dame de l’Heure porte localement plusieurs noms. Kanissat al latine (l’église latine), Kanissat al Dominikâne (l’églises des Dominicains), Kanissat al Pawater (l’église des Pères) et surtout Kanissat as-Sâa (l’église de l’horloge). Par extension, on la désigne aussi Deir el-aba (Couvent des Pères), voire Umm al-a’joûby (Mère des Miracles) en raison de la grotte mariale qui s’y trouve.
La première église dominicaine de Mossoul fut construite par les Italiens. En lieu et place fut édifiée entre 1866 et 1873 la nouvelle et grande église latine des Dominicains de la Province de France. Le chantier fut dirigé les pères Duval et Lion. La première pierre fut posée le 9 avril 1866 et la consécration eut lieu le 2 août 1873.
C’est un édifice imposant, tout à la fois massif et élancé, « de style romano-byzantin[1] », à triple nef et cinq travées. La structure de l’édifice est portée par quatre paires de piliers libres cylindriques surmontés de chapiteaux à feuilles d’acanthe et d’arcs pleins cintre. Deux coupoles hémisphériques à tambour et fenêtres s’élèvent au centre de la nef. Le maître-autel est inscrit dans une abside avec une voûte en cul de four. À l’opposé du sanctuaire, une autre abside parfaitement symétrique accueille une haute tribune. Au nord comme au sud, les murs sont formés de quatre grandes absidioles dans lesquelles sont inscrits quatre autels finement ciselés.
L’intérieur de l’église est fait de ce magnifique marbre gris de Mossoul, le faresh. L’extérieur est recouvert d’un parement de pierres beige-ocre.
On trouve dans cette église une chambre funéraire contenant des sépultures de Pères Dominicains, parmi lesquels les pères Hyacinthe Simon et Jacques Rhétoré, qui virent l’enfer s’abattre sur les Chrétiens des provinces orientales de l’Empire ottoman en 1915-1916 et qui en témoignèrent dans leurs récits.
Le célèbre campanile de l’église Notre Dame de l’Heure se dresse au nord, entre deux absidioles.L’impératrice Eugénie de Montijo, épouse de Napoléon III, offrit et finança en 1876 ce premier clocher irakien dans lequel fut installée en 1880 la célèbre horloge à quatre cadrans financée par le gouvernement français à la demande du consul de France à Mossoul. C’est ainsi que la célèbre horloge donna son nom au quartier et rythma la vie de toute la ville.
Dans la cour de l’église on trouve une réplique de la grotte de Lourdes contenant une grande statue de Notre-Dame-des-miracles (Omm al-ajoubi), devant laquelle nombre de femmes, chrétiennes, musulmanes et yézidies, priaient et demandaient grâces et bienfaits. C’est au savant dominicain Jean-Maurice Fiey que l’on doit la construction de cette grotte, en remplacement d’une chapelle de la Vierge qui fut détruite lors du percement de la rue Farouq.
L’église latine Notre Dame de l’Heure fait partie d’un ensemble conventuel. Autour de l’église, on trouve :
À l’ouest : le séminaire syro-chaldéen. Il comprend des salles d’études, des chambres, un réfectoire et une cour.
Au sud : le couvent des Pères Dominicains, de l’autre côté de la cour de l’église, puis la Maison des Sœurs Dominicaines de la Présentation. Cette maison très vaste comprend de nombreuses salles de classe, une chapelle, un iwan, plusieurs cours et préaux, une buanderie, des dortoirs et des ouvroirs.
À l’est : une maison des tertiaires dominicaines et des institutrices comprenant notamment un atelier de reliure.
Au nord : un hôpital avec une salle de malades, une salle de consultation, une pharmacie et les dortoirs des Sœurs. Plus proche de l’église se situe l’école des garçons avec de nombreuses salles de classe, deux cours et une imprimerie.
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[1] In « Entretien sur l’Orient chrétien », Jean-Marie Mérigoux. Editions La Thune, Marseille, 2015, p. 102
Pillages et destructions entre 2014 et 2017
Restauré dans les années 2000, le couvent a été pillé et dévasté quinze ans plus tard, pendant les trois années d’occupation de Mossoul par daesh.
Il ne reste rien de la bibliothèque de livres modernes (voir ci-dessous le témoignage du Père Michaeel Najeeb). Un désastre patrimonial !
Les quatre cadrans et le mécanisme de l’horloge de l’église Notre Dame de l’Heure ont été volés (voir ci-dessous le témoignage de Sœur Luigina Sako).
L’église a été vandalisée. Le sanctuaire et son remarquable maître-autel ont été pulvérisés. Les autels des absidioles ont subi le même sort. Les plaques de marbre ont été arrachées, volées ou jetées à terre. Plusieurs parties ont été détruites à l’explosif, notamment le 24 avril 2016. Les impacts de balles et les tirs de mortiers ont perforé l’ensemble de l’église et des bâtiments conventuels. Dans la cour, la réplique de la grotte de Lourdes et sa statue ont été pulvérisées. Après la libération de Mossoul, des corps de combattants fondamentalistes gisaient dans l’église. Malgré ce désastre l’église ne s’est pas effondrée. Elle reste dressée, même estropiée, telle un phare de douleurs.
Témoignages : Père Michaeel Najeeb, Sœur Luigina Sako
Père Michaeel Najeeb, fondateur et directeur du Centre Numérique des Manuscrits Orientaux[1] : « Cette passion pour les textes anciens m’a gagné un peu par hasard, lorsque j’ai voulu référencer le fonds de la bibliothèque de notre couvent de Mossoul à la fin des années 1980 (…) Des manuscrits du XIIe siècle ou des incunables du XVIe siècle avec une couverture en peau de chamois voisinaient avec des ouvrages publiés récemment parce qu’ils avaient un vague point commun. (…) Une fois par hasard j’ai remarqué un parchemin caché dans la reliure d’un livre. C’était un texte en latin du IXe siècle, qui racontait la vie de Moïse. Parfois dans les rayonnages de la bibliothèque il ne restait plus que les fantômes. Ces fiches que l’on insère à la place du livre emprunté et sur lesquelles on note son nom et la date de sortie et de retour constituent un témoignage fabuleux, car elles retracent un peu la généalogie d’un ouvrage : qui l’a lu ? à quel moment ? pendant combien de temps ? Par déduction, leur étude permet de reconstituer le parcours intellectuel des religieux ou les débats qui animaient le couvent. Les plus anciennes datent de 1870 et disent tout de la curiosité des Dominicains. On y relève aussi les lectures des érudits musulmans animés de la même passion que la nôtre. Jamais ils n’auraient eu l’idée de détruire cette bibliothèque. C’est pourtant ce que les fous de daesh se sont empressés de faire, dès qu’ils ont pris le contrôle de Mossoul, en transformant notre couvent en centre de torture. Grâce à ces fantômes j’ai compris que des dizaines de manuscrits anciens avaient disparu. Je me suis donc improvisé bibliothécaire. »
Sœur Luigina Sako, supérieure de la maison romaine des Sœurs chaldéennes des Filles de Marie[2] : « Les coups de cette horloge ont scandé notre jeunesse, lorsque Mossoul était une ville où l’on coexistait dans la paix. Je me souviens que, lors de nos études, quand nous avions un examen important, nous allions tous, chrétiens et musulmans, porter des billets avec nos demandes d’aide à la grotte de Lourdes qui est présente dans l’église, grotte que nos amis musulmans connaissaient et vénéraient également comme l’église de la Vierge miraculeuse ».
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[1] In « Sauver les Livres et les hommes », Père Michaeel Najeeb avec Romain Gubert, Édition Grasset. p.26-27
[2] Article paru dans le journal La Croix, Avril 2016. Reproduction avec l’aimable autorisation du journal.
Nouveau reportage de la série MESOPOTAMIA (coproduction KTO). Episode 46. Mars 2021
Le couvent dominicain Notre-Dame de l’Heure a subi d’importantes destructions entre 2014 et 2017. Si aujourd’hui l’ensemble conventuel est meurtri dans sa chair et dans sa pierre, des travaux de restauration ont été entamés le 4 janvier 2021.Ce chantier porteur d’espoir devrait s’achever d’ici deux ans.
Ce reportage réalisé par Maxime Kgozien, est coproduit par MESOPOTAMIA et KTO
Evolution des travaux de restauration en novembre 2022 et avril 2023
Les travaux de restauration du couvent dominicain Notre-Dame de l’Heure se poursuivent. Ils ont été entamés le 4 janvier 2021.
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