Le monastère Notre-Dame des Moissons
Le monastère Notre-Dame des Moissons se trouve à Alqosh, à 36°43’56.8″N 43°06’40.3″E et 588 mètres d’altitude.
Il constitue un véritable phare de l’identité culturelle et spirituelle chaldéenne.
Achevé en 1858, le monastère Notre-Dame des Moissons fut construit à la demande du patriarche chaldéen Joseph VI Audo (1847-1878) qui souhaitait réunir les moines du très ancien couvent de Rabban Hormizd en un lieu plus accessible et moderne, mieux adapté et sécurisé. L’église abbatiale Notre-Dame des Moissons est un bijou d’architecture. Sa structure interne et son parement décoratif sont intégralement composés en marbre gris de Mossoul. Sa chaleur et son éclat naturels y sont mis en scène par la profusion des ornements ciselés sur sa peau.
Une position géographique remarquablement sensible
Le monastère Notre-Dame des Moissons[1] – Der Saïda- est situé à Alqosh, au nord de la province de Ninive à 36°43.947’ N 43°06.671’ E et 588 mètres d’altitude, à 10 km de la rive orientale du Tigre et 40 km au nord de Mossoul. C’est un vaste domaine, établi sur le versant oriental de la cité chaldéenne.
Il occupe une position géographique et historique remarquablement sensible, à la lisière de l’antique Assyrie et de l’ancien royaume d’Arménie, aux frontières modernes du Kurdistan d’Irak, de la Turquie et de l’Iran.
Le monastère Notre-Dame des Moissons est souvent désigné comme le monastère de la plaine, par opposition au monastère d’en-haut, celui de Rabban Hormizd, qui domine la vallée depuis son écrin montagneux. Les deux sites monastiques sont d’ailleurs contigus et à portée de vue l’un de l’autre.
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[1] Le monastère Notre-Dame des Moissons est également souvent nommé Notre-Dame des Semences et dans quelques rares cas Notre-Dame Protectrice des Moissons (Semences). Nous retiendrons pour cette notice le nom employé par J.M. Fiey dans Assyrie Chrétienne qu’il justifie en rappelant que la fête du monastère, le 15 Mai de chaque année, est aussi celle de la moisson.
Histoire d’un grand monastère chaldéen
Achevé en 1858, le monastère Notre-Dame des Moissons fut construit à la demande du patriarche chaldéen Joseph VI Audo (1847-1878) qui souhaitait réunir les moines du très ancien couvent de Rabban Hormizd en un lieu plus accessible et moderne, mieux adapté et sécurisé[1].
Il manquait aussi à la célèbre Alqosh, réputée pour ses copistes, ses calligraphes, ses écrivains et ses poètes, auteurs d’innombrables œuvres et manuscrits, un grand monastère doté d’une bibliothèque moderne, sûre et fonctionnelle.
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[1] C’est au couvent de Rabban Hormizd que se cristallisèrent les rivalités entre l’Église de Rome et l’Église de l’Orient qui aboutirent au XVIe siècle à la création de l’Église chaldéenne (catholique). Progressivement, la population d’Alqosh devint catholique et les églises de la cité changèrent de tutelle ecclésiale. Il en fut de même pour le couvent de Rabban Hormizd, qui était originellement l’un des plus célèbres monastères de l’Église de l’Orient. La construction du monastère Notre-Dame des Moissons pourrait être interprétée comme le moyen de doter la prépondérante Alqosh et l’Église chaldéenne d’un nouveau très haut-lieu spirituel, résolument chaldéen dans ses fondations, qui puisse incarner le renouveau et le rayonnement souhaités.
Sur la piste des manuscrits
De fait, bien mieux adapté aux nécessités des moines et des visiteurs, le monastère de la plaine accueillit dès 1857[1] (sans doute avant son achèvement) la bibliothèque du monastère de Rabban Hormizd, ou plus exactement les collections sauvées des dévastations kurdes de 1842 et 1850, puis de la catastrophe naturelle de février 1851 lorsque plus de mille manuscrits furent emportés par des eaux torrentielles.
Ainsi, pendant près d’un siècle le monastère Notre-Dame des Moissons entretint une bibliothèque de « renommée mondiale[2] », dont les manuscrits furent ensuite transférés « au monastère de Mar Gwargīs de Mossoul, dans les années soixante, et finalement au nouveau monastère de Baghdad, fondé en 1969.[3] » Ceci étant, il y avait encore en 2011 dans les « vitrines » de la bibliothèque de Notre-Dame des Moissons, « plus de 1100 manuscrits[4] » qui auraient ensuite été placés en lieu sûr « dans la montagne[5] » alors que Daesh ravageait la plaine de Ninive.
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[1] In Notes sur les manuscrits syriaques conservés dans la bibliothèque du couvent des Chaldéens de Notre-Dame des Semences, Mgr Addaï Scher, p.481, Journal Asiatique, Paris, Ernest Leroux éditeur, MDCCCCVI
[2] In Assyrie Chrétienne, vol II, Imprimerie catholique de Beyrtouth, J.M.Fiey, p.549
[3] In Manuscrits arabes chrétiens en Irak, Joseph Habbi, Paroles de l’Orient 22 (1997) p.363-364
[4] In Rapport Alain Desreumaux. 09-09-2014
[5] Id. avec source citée de Sébastien de Courtois
Description et accessibilité
Un peu à l’écart du centre historique d’Alqosh, le site sur lequel est implanté le monastère Notre-Dame des Moissons autorise une belle vision panoramique de son environnement.
L’église abbatiale occupe le centre du domaine. Tout autour sont disposés le cloître, les unités de vie et le cimetière des moines, mais aussi deux maisons d’hôtes et un orphelinat. Hors de l’enceinte, un grand domaine agricole composé de champs et de vergers est exploité en fermage par des agriculteurs qui contribuent à la ressource monastique.
On accède au monastère par son aile ouest, le long de laquelle est aménagée une promenade où déambulent paisiblement, enfants, adultes et vieillards, sous le regard attendri d’une Vierge couronnée et bras ouverts, dressée sur la Terre et écrasant le serpent.
L’entrée du monastère
L’entrée du monastère est matérialisée par une magnifique porte en pierre de taille ouvragée, qui repose sur deux colonnes à chapiteaux, surmontées d’un arc surhaussé enrichi d’une frise polylobée, au tympan duquel est sculptée une discrète croix encadrée de motifs floraux et végétaux typiques de l’ornementation arabo-persane. Deux lignes de dédicace en langue syriaque garnissent le pourtour intérieur de cet arc que couronne un fronton en mitre. Cette belle porte de pierre, encore équipée de ses deux battants de bois originels, semble un peu cachée par le porche construit au devant d’elle. En forme de trapèze, coiffé par un dôme surmonté d’une croix tréflée en métal doré, hérissé de créneaux et merlons babyloniens, ce porche souligne l’identité assyro-chaldéenne du monastère. De conception récente, mêlant la pierre lisse et le béton, cet élément d’architecture offre une ombre bienfaitrice sur le seuil du couvent.
Le cloître, une représentation biblique
Une fois passé le portail d’enceinte, le monastère ouvre sur une vaste cour intérieure rectangulaire, à ciel ouvert et entièrement carrelée, de part et d’autre de laquelle sont aménagés des espaces de vie.
Dans le prolongement du portail d’entrée, il faut franchir une galerie pour accéder au magnifique cloître arboré. C’est la partie la plus ancienne du couvent[1] avec l’église abbatiale. Planté d’espèces florales et fruitières variées, doté d’une majestueuse tonnelle de vigne, équipé d’un puits et d’une fontaine à bassin, ce splendide jardin intérieur est pensé comme une représentation paysagère de la Bible. Il ouvre, d’un côté, sur le réfectoire, la cuisine, le cellier, la salle capitulaire et les cellules des moines et de l’autre, sur le porche méridional de l’église abbatiale.
La beauté de ce cloître et la sérénité qu’il procure contrastent radicalement avec l’angoisse existentielle et le climat de guerre perpétuelle qui prévalent en Irak. Partager le thé avec les moines chaldéens sous le feuillage rafraîchissant de ce jardin d’Eden est pour tout Irakien un moment d’apaisement salutaire et pour le visiteur de passage un signe de respect.
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[1] En cours de réaménagement lors de la visite de l’équipe de l’association MESOPOTAMIA en août 2017
L’église abbatiale, un bijou d’architecture
L’église abbatiale Notre-Dame des Moissons est un bijou d’architecture. Sa structure interne et son parement décoratif sont intégralement composés en marbre gris de Mossoul. Sa chaleur et son éclat naturels y sont mis en scène par la profusion des ornements ciselés sur sa peau.
Pour entrer dans l’église en venant du cloître, il faut emprunter, sous un large porche, la porte d’entrée méridionale faite d’une double arcature sur colonnes et chapiteaux. Sous l’arc supérieur en ogive, un arc inférieur surhaussé est enrichi de dédicaces et orné d’arabesques polychromes. Sous ce même porche, sont également disposées deux portes latérales très finement sculptées.
Vue de l’extérieur, l’église abbatiale Notre-Dame des Moissons semble massive avec sa toiture plane en terrasse à deux niveaux, à l’extrémité orientale de laquelle se dresse un dôme à tambour. En revanche à l’intérieur, sous ses voutes en berceau brisé, elle dévoile des proportions relativement modestes, presque intimes.
Son ossature, son mobilier et ses éléments décoratifs se complètent harmonieusement. Le chatoiement des marbres, l’épaisseur des piliers hexagonaux de la nef, la majesté de la porte royale, la beauté du maître-autel à degrés et sa saisissante fresque décorative font de cette église abbatiale une merveille d’art religieux.
Certes, son architecture intérieure ne remplit pas totalement les normes idéales sensées caractériser les églises assyro-chaldéennes, mais elle les respecte globalement.
L’église est effectivement orientée vers l’est et le Levant, mais les entrées séparées des hommes et des femmes ne semblent plus d’actualité. À l’exception des moines qui entrent par le cloître, les fidèles entrent généralement par la porte occidentale, ouverte sur le bas-côté méridional.
L’architecture intérieure préserve distinctement les deux espaces traditionnels : la nef pour le peuple, le sanctuaire réservé au clergé. Entre les deux se dresse un haut mur de marbre percé de trois portes, centrale et latérales. Un rideau liturgique de velours rouge dévoile ou dissimule, selon le moment liturgique, le maître-autel.
Au centre de l’église, à l’extrémité orientale de la nef, la grande porte royale est sculptée comme une dentelle de marbre, brodée de deux dédicaces et d’un épigramme. De chaque côté de cette arche imposante, deux paires de niches finement taillées se superposent. Les deux plus basses encadrent les tableaux du Sacré-Cœur de Jésus (à gauche) et du Cœur Immaculé de Marie (à droite). Les deux niches supérieures abritent deux anges de lumière.
L’architecture tripartite du sanctuaire respecte la norme traditionnelle des églises assyro-chaldéennes. À droite du Saint-des-Saints, une grande porte est ouverte sur les fonts baptismaux où se trouve un très ancien baptistère. À gauche, une autre porte ouvre sur le diaconicon. Ces deux chambres sont également accessibles par les portes des bas-côtés de la nef.
Un magnifique maître-autel
Il faut gravir trois marches et passer sous l’arche royale pour pénétrer dans le sanctuaire. Adossé au mur oriental, se dresse le magnifique maître-autel de marbre gris à 7 degrés, devant lequel est posé un antependium[1] revêtu d’un brocart doré et pailleté. L’autel dispose en son centre d’un tabernacle pour les offrandes. Son sommet est orné d’une splendide fresque peinte, polychrome et hémisphérique, représentant la Vierge et l’Enfant au milieu des blés mûrs d’Alqosh. Cette œuvre unique présente la mère du Sauveur revêtue d’une tunique beige-ocre, tenant main droite une gerbe de blé qu’un chérubin semble prélever délicatement pour garnir son propre bouquet. Sur son bras gauche, elle porte le Saint-Enfant habillé d’une tunique ornée d’épis de blé et de grappes de raisins. Main gauche, le Christ tient un joli bouquet de fleurs fraîches que semble regarder tendrement un second chérubin qui serre son gros fagot de blé. Main droite, il bénit les champs et les fidèles. À l’arrière plan de cette fresque on peut apercevoir Alqosh, ses champs et la montagne. Deux colombes en vol surmontent l’auréole rayonnante de la Vierge. Enfin, un arc en ciel très vif est formé par un soleil voilé de gros nuages qui signalent probablement la saison des moissons. Cette œuvre exceptionnelle magnétise le regard. Éclairée de lumignons et rehaussée par un arc de marbre à frises ornementales polylobées, elle constitue le point focal de la prière, à la manière des icônes orthodoxes.
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[1] devant-d’autel
En mémoire du glorieux patriarche Joseph VI Audo
L’église abbatiale abrite également les tombes de quelques illustres moines, dont les monuments funéraires gravés d’épitaphes en arabe, en syriaque et en latin sont disposés le long des murs des bas-côtés. C’est là que repose notamment le patriarche chaldéen Joseph VI Audo. Les patriarches chaldéens avant lui furent enterrés au vieux monastère de Rabban Hormizd. Le somptueux autel funéraire consacré au patriarche Audo se trouve immédiatement à droite après l’entrée occidentale. Il est formé de colonnes à chapiteaux, d’un arc surhaussé enrichi d’une frise polylobée, d’un tympan orné d’un retable façonné dans le marbre contenant un tableau de la Vierge à l’Enfant et pour finir d’une console liturgique posée sur 4 pieds sculptés. Ce monument funéraire porte en épitaphe l’attachement des Chaldéens à leur glorieux patriarche « que la Sainte Église pleure amèrement, multipliant les lamentations sur ce saint chef de notre nation. [1]»
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[1] Extrait de l’inscription à la mémoire du patriarche Audo. Voir Assyrie Chrétienne, vol.II, J.M.Fiey, p.549. Voir aussi le Recueil des Inscriptions Syriaques, Tome 2, Amir Harrak, éditions de Boccard, pour le détail de toutes les dédicaces, notamment funéraires, du monastère Notre-Dame des Moissons.
L’actualité du monastère
Malgré la menace existentielle que fit peser Daesh sur les hommes et le patrimoine, le monastère Notre-Dame des Moissons d’Alqosh demeura un phare spirituel. Il constitua même un refuge pendant ces années noires.
Il faut aussi souligner sa position géopolitique relativement inconfortable, à la lisière de la province de Ninive et de la région autonome du Kurdistan d’Irak. Le climat politique instable[1] entre les autorités fédérales et les autorités kurdes ne semble pas altérer l’attractivité du monastère, ni même son rayonnement. Au contraire.
Notre-Dame des Moissons est fêtée par l’Église chaldéenne le 15 Mai.
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[1] Des tensions fortes mais heureusement sans conséquences sont survenues en raison du référendum d’indépendance du Kurdistan d’Irak le 25 septembre 2017. Le contrôle d’Alqosh est revenu de jure au gouvernement fédéral en octobre 2017 après avoir été kurde de facto.
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