Le couvent Sainte Barbe (Mart Barbara) de Karamlesse
Le couvent Mart Barbara de Karamlesse se situe à 36°18’20.96″N 43°24’36.81″E et 293 mètres d’altitude.
Dans la première moitié du XIVe siècle, le chroniqueur Ibn ‘Abd ul Haq rapporta que les habitants de Karamlesse étaient tous chrétiens. Célèbre dans tout l’Orient chrétien, Sainte Barbe fait l’objet de plusieurs traditions. La Sainte Barbe de Karamlesse, aurait été la fille du gouverneur de la cité et convertie. Le couvent Saint Barbe abrite la tombe de la jeune martyre. Le tell sur lequel il est construit pourrait avoir été le site du palais du gouverneur et de sa fille martyrisée.
Localisation
Le couvent Mart Barbara se situe à 36°18’20.96″N 43°24’36.81″E et mètres d’altitude, à l’entrée de la ville de Karamlesse, connue et reconnue par plusieurs auteurs anciens pour son grand souq. Le couvent est construit sur le flanc d’un tell (colline artificielle) archéologique et séparé de la ville par la route qui relie Qaraqosh, à 5 km au sud, à Bartella, à 10 km au nord.
Toponymie
Plusieurs sources sont proposées pour interpréter le nom du village. L’une d’elles renverrait aux mots araméens Karam lét, qui, selon Yaqout al Roumi, voyageur et encyclopédiste du XIIIe siècle, signifieraient « sans vigne ».
L’orientaliste dominicain Jean-Maurice Fiey y voit une autre explication : « le nom de Kar-méš est assyrien, il signifie le village détruit ou les dépôts et apparaît dans les tablettes de Balawat.»[1]
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[1] Assyrie Chrétienne, p.400, Jean-Maurice Fiey
Fragments d’une histoire antique
On identifie souvent Karamlesse avec le lieu de la bataille de Gaugamèle qui opposa les armées d’Alexandre le Grand et de Darius III en 331 av. J.-C. Pour le géographe Vital Cuinet, « il est très probable que c’est au nord de Caramless, à partir de ce village jusqu’au Ghazir qu’a eu lieu la bataille (…) La plaine y est extrêmement unie, la cavalerie persane a pu facilement s’y développer »[1]. Jean-Maurice Fiey remet en cause cette identification géographique et soutient qu’une « meilleure étude des textes, et surtout la localisation du pont sur le Zab emprunté par les belligérants après le combat, reporte le lieu de la victoire d’Alexandre beaucoup plus vers le nord. »[2]
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[1] La Turquie d’Asie, Tome deuxième, Ernest Leroux éditeur, 1891, p.830
[2] Assyrie Chrétienne, p.401, Jean-Maurice Fiey
Fragments d’une histoire chrétienne
La christianisation de Karamlesse semble avoir été assez précoce. Dès 562 les habitants de Karamlesse « aidèrent à la construction du couvent de Bar’Éta, dans la vie duquel il est appelé Karamlaiss le Grand »[1].
Le géographe Vital Cuinet indique qu’en 1881 fut trouvé « dans une vieille église de Caramlesse, vaste et bien bâtie, une petite boîte en bois, recouverte de plaques de fer et enduite de bitume, contenant de précieuses reliques avec une inscription chaldéenne qui en atteste l’authenticité et les attribue à Saint Addée et à Saint Ischo.»[2]
Karamlesse, comme toutes les cités chrétiennes de Mésopotamie, subit toutes sortes d’attaques et de destructions. Ainsi en 1235, rapporte Bar Hebraeus, maphrien syriaque-orthodoxe, savant et écrivain du XIIIe siècle, rapporte que les Mongols assiégèrent Karamlesse. « Les habitants s’enfuirent à l’église que les Mongols encerclèrent. Deux nobles se placèrent aux portes de l’église. L’un d’eux épargnait et laissait la liberté à ceux qui sortaient par sa porte, l’autre passait au fil de l’épée les hommes, femmes et enfants qui passaient par la sienne. »[3] Cet épisode fit l’objet de poèmes et de complaintes qui perdurent jusqu’à nos jours.
Dans la première moitié du XIVe siècle, le chroniqueur Ibn ‘Abd ul Haq rapporta que les habitants de Karamlesse étaient tous chrétiens. En 1743 l’empereur persan Nâdir Châh attaqua, pilla et ruina le village, comme il le fit dans toute la région. La peste affecta également Karamlesse plus d’une fois. En 1828 notamment. C’est ce qu’atteste une lettre de Mgr Pierre-Alexandre Coupperie, évêque de Babylone et consul de France, datée du 29 août et citée dans la revue Missions Dominicaines en 1927[4]. Il y écrivit que « La famine, la guerre civile et la peste surtout ont anéanti au moins la moitié de la population chrétienne de Mossoul et dans le Kurdistan. », ce qui incluait de fait Karamlesse. Ce fléau ne fut sans doute pas le premier du genre, puisqu’il frappa Mossoul en 1737/38, mais aussi Qaraqosh toute proche en 1773.
Les Chrétiens de Karamlesse originellement membres de l’Église de l’Orient (l’Église de Perse) rejoignirent progressivement l’Église chaldéenne. Sainte Barbe de Karamlesse est d’ailleurs connue pour avoir été la première église chaldéenne d’Irak.
À son époque, Jean-Maurice Fiey y recensa 2100 habitants, majoritairement chaldéens ainsi qu’une minorité syriaque-orthodoxe de 35 familles. Il put aussi y signaler une présence apostolique arménienne.
Un des premiers chroniqueurs européens à relater le couvent Sainte Barbe fut le médecin et explorateur anglais Edward Ives, originaire de Titchfield dans le Hampshire[5]. Le 2 juillet 1758, il arriva à Karamlesse, d’où il rapporta le récit des habitants d’une destruction par des pillards persans des murs du couvent afin d’y chercher de l’or[6]. Sur place, Edward Ives fit l’acquisition d’un lectionnaire conservé au British Museum.[7] 7 ans plus tard, le père dominicain Domenico Lanza vint en 1765 y célébrer la messe.
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[1] id.
[2] La Turquie d’Asie, Tome deuxième, Ernest Leroux éditeur, 1891, p.830
[3] Assyrie Chrétienne, p.402, Jean-Maurice Fiey
[4] Missions Dominicaines, p.36 s.
[5] « A Voyage from England to India, in the Year MDCCLIV: Also, a Journey from Persia to England, by an unusual route ».
[6] Assyrie Chrétienne. JM Fiey, p.405
[7] Id.
Fragments d’une hagiographie
Célèbre dans tout l’Orient chrétien, Sainte Barbe fait l’objet de plusieurs traditions. On la dit née en 210 et morte martyre à 25 ans en 235 dans la ville de Nicomédie (Izmit, Turquie). Des recherches conduites dans le cimetière au nord de la ville, là où elle aurait été retenue prisonnière, auraient révélé l’existence de deux jambes du corps de la Sainte.
On la dit aussi égyptienne, martyrisée à Héliopolis. La Sainte Barbe de Karamlesse, aurait été la fille du gouverneur de la cité et convertie secrètement au christianisme avec sa servante Juliana. Les deux moururent martyres. Le père de Sainte Barbe ne parvenant pas à convaincre sa fille d’abjurer sa foi l’aurait lui-même décapitée après qu’elle fut atrocement torturée. Au moment de lui trancher la tête, le sabre de son père se serait aussi brisé en plusieurs morceaux….
Description du couvent
Le couvent Saint Barbe abrite la tombe de la jeune martyre. Le tell sur lequel il est construit pourrait avoir été le site du palais du gouverneur et de sa fille martyrisée.
Le tombeau de Sainte Barbe fut détruit par Nâdir Châh qui vola également l’or qui s’y trouvait. Ces destructions seraient censées expliquer la pauvreté des traces épigraphiques. Le tombeau de Sainte Barbe aurait été rebâti en 1766, puis l’église en 1797, soit 54 ans après les razzias du persan. La tombe de marbre de Sainte Barbe pourrait avoir été également celle de Juliana, sa servante et sa sœur dans la foi.
Ce couvent et le martyrion de Sainte Barbe furent restaurés en 1997 puis en 2009, avant que Daesh n’envahisse la région en 2014 et ne transforme le site en base militaire.
Dans deux salles du couvent, les assaillants islamistes creusèrent et aménagèrent deux larges tunnels permettant d’accéder à un vaste réseau de galeries souterraines. Une des entrées permettait d’évoluer et de vivre sous le tell sans être vu ; l’autre, permettait de rejoindre le village de Karamlesse, sans que ces mouvements ne puissent être repérés par l’aviation. La terre excavée fut déversée dans l’église du couvent. Ses 2 nefs, le Saint des Saints et le martyrion étaient totalement ensevelis sous des tonnes de gravats. Les façades externes et internes du couvent ont été taguées d’insultes en langue arabe. Toutes les croix ont été burinées ainsi que certaines des traces épigraphiques et notamment celles qui recouvraient la jupe de marbre du tombeau de la sainte.
En novembre 2016, après la défaite de Daesh, une équipe de volontaires français[1] et irakiens vint nettoyer le couvent et déblayer les tonnes de terre accumulées dans l’église Sainte Barbe. Sans précaution archéologique, ils déterrèrent à cette occasion des ossements, ce qu’une nouvelle page de la tradition de Sainte Barbe, à défaut de la science, ne manquera pas d’extrapoler…
Le 25 juillet 2017, une délégation d’évêques de France, conduite par le cardinal et archevêque de Lyon, Philippe Barbarin, vint visiter le couvent et la tombe de Sainte Barbe, dans un témoignage de foi et de fraternité avec les Chrétiens de Karamlesse qui reviennent peu à peu.
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[1] SOS Chrétiens d’Orient
Actualité du couvent Sainte Barbe
- Restauration : Des restaurations ont été effectuées au couvent Sainte Barbe. Le tombeau de la Sainte a été vitré. L’autel a été réhabilité. Le jardin du couvent a été réaménagé. Le couvent est à présent ouvert 24h/24h pour venir y prier et méditer.
- Run In Spirit : Le 9 Mai 2019, une course à pied de 5 km entre Bakhdida (Qaraqosh) et Karamlesse a été organisée par l’association « Lyon Mossoul » du diocèse de Lyon (engagé depuis 2014 dans un jumelage avec le diocèse de Mossoul, au bénéfice des populations déplacées du fait de la guerre).
Cet événement a rassemblé une centaine de jeunes. Ce fut un « extraordinaire moment de fraternité avec la jeunesse irakienne entre Qaraqosh et Karamlesse. Rencontre, joie et sourire ! » (source: Facebook Lyonmossoul).
Une soirée festive et mémorielle s’est ensuite déroulée dans le jardin du couvent en présence de plus de 300 personnes : les jeunes coureurs, leurs familles, ainsi que des habitants des villes de Karamlesse et Bakhdida (Qaraqosh).
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