L’église Mart Schmouni de Bakhdida (Qaraqosh)
L’église syriaque-orthodoxe Mart Schmouni de Bakhdida (Qaraqosh) se situe à 36°15’58.44″N 43°22’31.17″E et 273 mètres d’altitude.
L’église Mart Schmouni de Bakhdida (Qaraqosh) a été incendiée par Daesh.
Le linteau et les montants de la porte royale de l’église Mart Schmouni sont richement sculptés de bas-reliefs du XIIe siècle représentant notamment les enfants de Mart Schmouni, les Maccabées.
Les visages et les vêtements de ces figurines ont le type mongol, révélant ainsi certaines des sources d’influence politique et culturelle sur l’art chrétien mésopotamien au XIIe siècle.
Un bas-relief représente également un homme en tailleur, les yeux fermés tenant de part et d’autre deux lions en laisse. Ce « Daniel aux lions » est une représentation typique de la sagesse que l’homme peut atteindre.
Plan de l’église Mart Schmouni de Bakhdida (Qaraqosh), d’après Suhayll Qasha, modifié, 1982 © « Les églises et monastères du Kurdistan irakien à la veille et au lendemain de l’islam », thèse de doctorat de Narmen Ali Amen. Université de Saint Quentin en Yvelines. Mai 2001, p.192
Localisation
L’église syriaque-orthodoxe Mart Schmouni se situe à 36°15’58.44″N 43°22’31.17″E et 273 mètres d’altitude, au sud-ouest de Bakhdida (Qaraqosh), sur un tell (colline) archéologique, à 500 mètres seulement d’une autre église syriaque-orthodoxe, Saints Serge et Bacchus (Mar Sirkis & Mar Baccus). Il y a 50 ans, l’église Mart Schmouni était située en dehors de la cité. Elle était entourée de champs et de vergers.
Au cœur de la plaine des Syriaques, à 30 km au sud-est de Mossoul et 80 km à l’ouest d’Erbil, Bakhdida (Qaraqosh) est la plus grande ville chrétienne de la plaine de Ninive, à 40 km en amont de la confluence du Tigre et du Grand Zab. En somme une « capitale » communautaire et confessionnelle.
Toponymie de Qaraqosh
Si le nom de Qaraqosh, littéralement l’Oiseau Noir en langue turque, demeure encore abondamment employé, il ne faudrait surtout pas négliger son nom syriaque originel Baghdédé (Baghdeda) probablement « dérivé de Bet Khudaydad qui est à la fois sémitique (Bet) et perse (Khudaydad) [et qui] signifie « la place, la maison donnée par Dieu »[1] dont l’usage semble redevenir primordial.
[1] Source Jean-Marie Mérigoux, O.P., in « L’Orient chrétien dans l’empire musulman », Collection Studia Arabica III, Editions de Paris, 2005.
Fragments d’histoire chrétienne de Bakhdida (Qaraqosh)
La tradition fait remonter la pénétration du christianisme dans la plaine de Ninive et la cité de Qaraqosh dès la fin du IVe siècle ou au début du Ve. Plus sûrement, les sources plaident pour une évangélisation au VIIe siècle. « Le village fut tout d’abord nestorien[1], puis vers 615, [il] devint monophysite[2]. Aux XIe et XIIe siècles beaucoup de Chrétiens de Tikrit qu’on voulait forcer à devenir musulmans, quittèrent leur ville et vinrent s’installer à Baghdédé. En 1743, les troupes de Nâdhir Shâh qui assiégèrent la région pillèrent Baghdédé et détruisirent les églises. C’est alors que les habitants du village se réfugièrent à Mossoul où ils participèrent à la défense de la ville »[3]. Ancien siège épiscopal syriaque-orthodoxe, c’est vers la fin du XVIIIe siècle que le village devint catholique.
La ville de Qaraqosh compte encore de nos jours plusieurs anciennes églises syriaques-catholiques et orthodoxes. Toutes ont été profanées, souillées, saccagées, voire incendiées par l’organisation État islamique, tout au long des 24 mois que dura l’occupation de la ville, d’août 2014 à octobre 2016. Malgré les dommages et destructions endurées, certaines de ces églises résistent encore au temps et aux envahisseurs et continuent de témoigner de ce lointain passé.
Depuis la libération Qaraqosh (Baghdeda) renoue progressivement avec son empreinte spirituelle originelle. Avec le retour des habitants depuis avril 2017, la cité redevient progressivement un pôle primordial pour le renouveau syriaque et chrétien de la plaine de Ninive et de la Mésopotamie.
[1] Nda : l’Eglise de l’Orient.
[2] Nda : syriaque-orthodoxe
[3] Source Jean-Marie Mérigoux, O.P., in « L’Orient chrétien dans l’empire musulman », Collection Studia Arabica III, Editions de Paris, 2005.
Démographie qaraqoshienne
Il serait bien hasardeux de présenter des statistiques démographiques fiables dans cette ville (et dans ce pays) où tout recensement est impossible du fait des guerres successives et des mouvements de population permanents. Néanmoins, on peut admettre qu’un minimum de 40 000 à 50 000 personnes vivaient à Qaraqosh avant l’offensive de l’organisation État Islamique (Daesh). Certaines estimations de Qaraqoshiens, sans doute exagérées, portaient ces statistiques à 70 000 personnes.
Il faut ajouter des milliers de déplacés (entre 5000 et 13 000 selon les périodes), chrétiens de Bagdad et de Mossoul, arrivés à Qaraqosh à partir de 2003, pour échapper aux crimes et délits des groupes islamico-mafieux nés de l’effondrement des structures de l’État irakien et pour lesquels biens des efforts avaient été consentis en faveur d’une implantation durable.
Quelque soit la réalité des données démographiques, près de 90 % des habitants de Bakhdida (Qaraqosh) étaient syriaques-catholiques, les autres se répartissant entre syriaques-orthodoxes, chaldéens (catholiques), ainsi qu’une toute petite communauté apostolique arménienne.
La ville qui passe pour avoir été exclusivement chrétienne avant 1980, a cependant vu arriver progressivement plusieurs dizaines de familles musulmanes, dans le cadre de la politique d’arabisation de la plaine de Ninive mise en œuvre par Saddam Hussein.
Fragments d’une hagiographie
L’hagiographie de Mart Schmouni et de ses sept Saints-Enfants est bien connue dans tout l’Orient chrétien mésopotamien. Le récit du martyre de cette famille juive, les Maccabées, figure au chapitre 7 du deuxième livre des Maccabées. Ce récit révèle les persécutions dont furent victimes les Juifs sous le règne du roi séleucide Antiochus IV Épiphane, parce qu’ils respectaient les Lois de Dieu et croyaient déjà en la résurrection et la vie éternelle…deux siècles avant l’avènement du christianisme.
Les sept frères Maccabées furent ainsi « arrêtés avec leur mère et contraints à manger du porc »[1] afin d’apostasier. Tous refusèrent et périrent martyrs les uns après les autres sous les yeux de leur mère. Le premier fut ainsi « horriblement torturé, puis placé sur un gril (…) »[2]. Malgré sa détresse, leur mère, Mart Schmouni, les encouragea un à un à rester fidèles à la Loi de Dieu, jusqu’au cadet qu’elle supplia de ne pas craindre le bourreau « mais, te montrant digne de tes frères, accepte la mort, afin que je te retrouve avec eux dans la miséricorde. »[3]
[1] In La Bible rendue à l’histoire, Jean Potin, éditions Le Club, Juin 2000, p.616
[2] Id. p.616
[3] Id. p.617, Extrait : 2 Maccabées, 7, 29
Histoire de l’église Mart Schmouni de Bakhdida (Qaraqosh)
La date de la fondation de l’église syriaque-orthodoxe Mart Schmouni de Bakhdida (Qaraqosh) est inconnue. Le style des inscriptions sur la porte royale du sanctuaire semble suggérer le XIIe siècle[1]. Sans certitude toutefois car l’édifice pourrait être possiblement daté du XVIIIe siècle[2]. Des traces historiques figurent dans les manuscrits. Ainsi, « un manuscrit a été copié en 1728, dans l’église de Mart Šmūni ses sept fils et Éléazar leur maître[3] ». Ce faisant, l’église Mart Schmouni est attestée historiquement, certes tardivement, dans le premier tiers du XVIIIe siècle.
[1] In Assyrie Chrétienne, Jean-Maurice Fiey, Beyrouth, 1965, p.449-451
[2] « Les églises et monastères du Kurdistan irakien à la veille et au lendemain de l’islam », thèse de doctorat de Narmen Ali Amen. Université de Saint Quentin en Yvelines. Mai 2001, p.190-195 + planches CLXIV à CLXXIV.
[3] In Assyrie chrétienne, Jean-Maurice Fiey, Beyrouth, 1965, p.451
Description de l’église Mart Schmouni de Qaraqosh
Le tell sur lequel est érigé l’église syriaque-orthodoxe Mart Schmouni est entouré de hauts murs de près de 4 mètres.
Une fois passée la porte de l’enceinte, on découvre un grand escalier, longtemps simple mais aujourd’hui bordé d’une rampe en pierre, qui mène au sommet du tell sur lequel se dresse l’église[1]. En haut de cet escalier, on se trouve face à la porte nord de l’église, une porte latérale, l’église étant orientée à l’est.
Les murs de l’église Mart Schmouni sont recouverts d’un parement en pierres de taille blanches et çà et là en marbre gris de Mossoul. Un bas-relief représentant le martyr de Mart Schoumi et ses sept enfants figure en bonne place sur la façade nord de l’église.
En pénétrant dans l’église, on est avant tout saisi par la noirceur des lieux. En ce début d’année 2018, on pouvait encore apercevoir face à l’entrée, mais légèrement sur la droite (le chœur se trouvant sur la gauche), les cendres de deux gros incendies criminels allumés par Daesh avec une partie des bancs de l’église. Il fallait encore à cette date un éclairage d’appoint pour évoluer dans cette église souillée et noircie par la suie.
L’église est de forme basilicale à 3 nefs. Comme pour l’église des Saints Serge et Bacchus de Bakhdida (Qaraqosh) (voir la notice sur cet édifice) , le chevet surélevé d’une marche est formé d’une abside saillante surmontée d’une coupole ouvragée. Là encore, l’édifice est typique des églises dites syriennes-occidentales (syriaques-orthodoxes et catholiques). Le Saint-des-Saints (le sanctuaire), orienté vers l’Orient, est tripartite. Au centre, contre l’abside, le maître-autel. Il communique avec ses 2 annexes, le martyrion (bēt sōhdē, en syriaque) au nord, la sacristie (bēt diāqōn) au sud.
Le linteau et les montants de la porte royale de l’église Mart Schmouni sont richement ciselés de bas-reliefs du XIIe siècle représentant notamment les enfants de Mart Schmouni, les Maccabées. Cette frise n’a heureusement pas été martelée mais « seulement » noircie par la fumée. Les visages et les vêtements de ces figurines ont le type mongol, révélant ainsi certaines des sources d’influence politiques et culturelles de l’art chrétien mésopotamien au XIIe siècle. Un bas-relief représente également un homme en tailleur, les yeux fermés tenant de part et d’autre deux lions en laisse. Ce « Daniel aux lions » est une représentation typique de la sagesse que l’homme peut atteindre.
Sur le linteau de la porte, on peut voir une inscription faisant état de la réfection de l’église (XIIe siècle supposé). La porte royale est également équipée de niches sculptées, à gauche et à droite de croix glorieuses.
Une fois passée la porte royale, sous le dôme faiblement éclairé se trouve le maître-autel à degrés et en pierres. Là aussi, le sol était encore recouvert des cendres d’un autre incendie criminel, lors de la visite de l’équipe de MESOPOTAMIA en janvier 2018.
Sur ses parois murales internes l’église Mart Schmouni dévoile un certain nombre de pierres et de marbres gravés d’inscriptions et ornés de croix syriaques. À gauche du maître-autel, une porte basse permet de rejoindre le bas-côté nord. Son contour est sculpté de motifs floraux.
L’église syriaque-orthodoxe Mart Schmouni a visiblement été restaurée et modernisée fin XXe siècle. Dans les années 80, l’église comportait encore un narthex qui a été détruit pour les besoins d’un agrandissement. Les habitants racontent encore de nos jours que dans les années 80, le bureau d’archéologie de Mossoul avait refusé que l’on touche à cet édifice très ancien pour l’agrandir. Les habitants seraient alors passés outre cette interdiction et auraient de nuit œuvré à la « modernisation » de l’édifice.
La façade ouest de l’église est depuis cette période surmontée d’un élégant clocher ouvragé.
[1]Observations effectuées par Pauline Bouchayer (Mesopotamia) en décembre 2017 et Janvier 2018.
Actualité de l’église Mart Schmouni de Bakhdida (Qaraqosh)
L’église Mart Schmouni de Bakhdida (Qaraqosh) a été saccagée et incendiée par Daesh. Laissée en l’état, lors de la dernière visite réalisée en janvier 2018, « aucune cérémonie ne semblait avoir été faite sur ce site depuis le retour des chrétiens à Qaraqosh[1]. » Il n’y a pas (encore) de prêtre syriaque-orthodoxe pour cette communauté confessionnelle et ses trois églises. « Moins de 150 familles syriaques-orthodoxes seraient revenues[2] » à Qaraqosh.
[1] Observations faites par Pauline Bouchayer (Mesopotamia) fin décembre 2017.
[2] Id.
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