Les mausolées yézidis de Aïn Sifni
Aïn Sifni se situe à 36°41’30.0″N 43°21’00.0″E et 500 mètres d’altitude dans la province de Ninive, tout près de la limite territoriale du Kurdistan d’Irak.
Aïn Sifni est la capitale du district de Cheikhan[1], grand centre administratif et spirituel et aussi la plus ancienne patrie de la communauté yézidie. Ce district compte 50 villages et abrite les villages yézidis les plus importants : Bozan, Lalesh, Ba’adrê, Beban et bien sûr Aïn Sifni. Le village d’Aïn Sifni est d’autant plus important qu’y vivent le prince yézidi Mîr Tahsin Beg et le Baba Cheikh (le plus haut dignitaire religieux yézidi) avec leurs familles respectives. Aïn Sifni est aussi, dans la croyance yézidie, le lieu où vécut Noé, où il construisit son arche et où commença le Déluge.Dans le panthéon yézidi Noé occupe la deuxième place après Adam. Il y a 2 cimetières et 7 lieux sacrés yézidis à Aïn Sifni.
Plan du mausolée yézidi de Cheikh Hantuch à Aïn Sifni © Dr. Birgül Açikyildiz-Şengül, université de Montpellier III
A propos de cette notice
Le texte de cette notice a été établi par le Dr. Birgül Açıkyıldız-Şengül, historienne de l’art, spécialiste de patrimoine et culture yézidis. Attachée à l’Université de Paul Valéry Montpellier III et l’IFEA Istanbul comme chercheuse associée, le Dr. Birgül Açıkyıldız-Şengül est l’auteure d’une thèse de doctorat : « Patrimoine des Yezidis : Architecture et sculptures funéraires en Irak, en Turquie et en Arménie » présentée en 2006 à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne (département de l’art islamique et de l’archéologie). Cette thèse dresse un inventaire documenté de 88 monuments (sanctuaires, mausolées, baptistaires, oratoires, caravansérails, ponts et grottes) et de 60 sculptures funéraires (en forme de cheval, de bélier, de brebis et de lion) en Irak du nord, en Turquie et en Arménie. Thèse publiée par I.B.Tauris (Londres, New York), 2010.
Ce texte est complété par les observations et interviews de l’équipe de Mesopotamia [Pascal Maguesyan, Shahad al Khouri, Sibylle Delaître (KTO)] avec le concours de Mero Khudeada.
Localisation
Le district de Cheikhan est bordé au nord par le district d’Amadia, au sud par celui de Bardarache, à l’est par celui de Akra, et enfin à l’ouest par les districts de Dehok-Nouhadra et Semmel.
Le village de Aïn Sifni, capitale du district de Cheikhan, se situe à 36°41’30.0″N 43°21’00.0″E et 500 mètres d’altitude.
Il se trouve à 10 km à l’est de Ba’adrê, 13 km à l’ouest de Mahad, 11 km au sud du centre spirituel yézidi de Lalesh, 29 km à l’est de la grande cité chrétienne d’Alqosh, 45 km au nord de la métropole de Mossoul.
À propos des Yézidis d’Irak
Majoritairement implantés dans la région autonome du Kurdistan d’Irak et dans la plaine de Ninive, leur berceau géographique, les Yézidis sont également présents en Turquie, en Syrie et dans le Caucase, particulièrement en Arménie et en Géorgie. Généralement considérés comme des Kurdes non islamisés, ce qui est sans doute simpliste voire inexact si l’on se fie à leurs origines mythologiques, souvent diabolisés en raison de leur culte, les Yézidis constituent une communauté dont il est bien difficile d’estimer les sources historiques et le nombre.
Minorisés à l’extrême en Irak sous différents régimes, leur existence était presque niée. Avant 2003, Bagdad n’en comptait officiellement que quelques milliers alors qu’ils étaient plus vraisemblablement quelques centaines de milliers !
Les conditions d’une tentative de génocide étaient déjà réunies avant même que les djihadistes de daesh ne les massacrent et ne les enlèvent en août 2014 dans les montagnes du Sinjar de la province de Ninive.
Malgré la reprise de Sinjar en novembre 2015 par les forces irakiennes et par des groupes de résistants coalisés, une partie importante des 500 à 600 000 Yézidis irakiens reste encore déplacée. Les persécutions qu’ils ont subi leur font redouter l’avenir en dépit des garanties constitutionnelles qui leurs ont été accordées en 2005.
Enracinement territorial du yézidisme
Le Yézidisme est né dans un territoire montagneux où ses habitants étaient protégés par ses hauteurs et ses cavernes. Considéré comme sacré par les Yézidis, ce territoire est globalement divisible en deux régions distinctes, à l’est et à l’ouest du Tigre le grand fleuve mésopotamien. À l’ouest Sindjar, sa ville, ses villages et son massif. À l’est le centre spirituel de Lalesh, auquel il convient d’ajouter les importants secteurs de Cheikhan, Bozan, Baashiqa et Bahzani. La très grande majorité de la population yézidie (clergé inclus) est originaire de ces régions, bien qu’il soit aussi possible de trouver des communautés yézidies éparpillées au-delà de ce territoire.
Des siècles durant, les Yézidis ont sauvegardé leurs coutumes et traditions dans ce pays, ce terroir. Cette survivance a été cruellement remise en cause à l’ouest du Tigre dans la région de Sindjar, par l’offensive dévastatrice de daesh en août 2014. Le niveau des destructions et la gravité des crimes génocidaires commis ont fragilisé à l’extrême les communautés yézidies des monts Sindjar qui formaient autrefois la très grande majorité de la population yézidie irakienne.
Territoire, histoire et patrimoine
C’est sur ce territoire, de part et d’autre du Tigre, que les Yézidis ont su préserver et développer les spécificités architecturales de leurs édifices religieux qui constituent les principaux lieux de culte des fidèles yézidis.
Ces édifices sont pour la plupart dédiés aux premiers disciples du réformateur du yézidisme au XIIe siècle, Cheikh ‘Adî, les membres de la famille de Chamsani, et à des familles comme Hasan Maman, Memê Rech et Cerwan, ainsi que les premiers chefs religieux de la communauté, descendants de Cheikh ‘Adî (les membres de la famille Adani) et quelques mystiques soufis importants qui ont influencé l’enseignement de Cheikh’ Adî, à savoir, Abd al-Qadîr al-Jilani, al-Hallaj et Qedib al-Ban (Qadî Bilban).
Il ne faudrait pourtant pas en conclure que le yézidisme est une religion d’origine médiévale. La rareté des sources théologiques et historiques disponibles est en effet compensée par une tradition et une mythologie anciennes, omniprésentes et évolutives. Ainsi, les yézidis voient en Noé l’un de leurs plus anciens et de leurs plus illustres patriarches. Ils soutiennent même qu’il vécut en Mésopotamie irakienne, à Aïn Sifni (Cheikhan), où il construisit son arche. Des historiens yézidis soutiennent que « la religion yézidie est très ancienne. Elle remonte à 3500 ans avant Jésus-Christ[1] ».
Les Yézidis disposent de lieux de culte et de prières assez hétéroclites, tels que des cimetières, des mausolées (mazar) dont certains plus importants que d’autres (khas / mêr), des oratoires de feu (nîshan), la maison d’un Cheikh ou d’un Pîr, un arbre, un buisson, une forêt d’oliviers, un pont, une arche, une grotte, une pierre sacrée (kevir), une source (…). Ces monuments, ces structures et ces sites, dédiés aux « saints » yézidis, constituent une partie importante de l’environnement culturel des zones yézidies et sont des signes matériels tangibles du système général de la spiritualité yézidie.
Il existe cependant un lieu fondamental vers lequel se tournent tous les Yézidis, y compris ceux de la diaspora, c’est la vallée de Lalesh au Kurdistan irakien. C’est l’endroit le plus sacré du yézidisme. C’est là que se trouve le sanctuaire de Cheikh ‘Adî, le grand réformateur du yézidisme au XIIe siècle. Cette vallée, ses mausolées et son environnement sont le centre de gravité de la vie mystique yézidie.
Les édifices yézidis ont été construits à différentes époques. Le manque d’inscriptions et de sources historiques rend difficile leur datation avec précision. La mauvaise qualité de certaines restaurations récentes ajoute à la complexité de l’analyse. D’autre part, il ne semble pas exister de styles architecturaux qui distingueraient différentes périodes de l’histoire yézidie et qui pourraient aider à dater ces édifices. Par ailleurs, le même style, dérivé d’un modèle particulier, a été utilisé à plusieurs reprises au cours des siècles et est toujours en vogue.
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[1] Chamo Kassem, inspecteur des écoles yézidies, spécialiste de la religion et de l’histoire yézidie, responsable culture et médias au Centre Culturel et Social de Lalesh à Duhok.
Fragments de spiritualité et de théologie yézidies
Le yézidisme est une religion de tradition et de transmission orale, simple et complexe à la fois. Simple parce qu’il n’est pas réglé par une liturgie et des dogmes contraignants. Complexe parce qu’il n’existe pas de grand livre théologique fondamental, comme il existe la Torah, les Évangiles ou le Coran.
Les Yézidis possèdent deux livres sacrés : le livre de la révélation « Kitêb-i Cilvê », et le livre noir « Mishefa Reş».
Le yézidisme est une religion strictement communautaire (nationale). On naît yézidi, on ne le devient pas. Il n’y a donc ni évangélisation, ni inculturation, ni prosélytisme. Ceci étant, le yézidisme n’est pas sectaire. Bien au contraire, l’altruisme est une vertu cardinale, un fondement spirituel et théologique. Tout chercheur qui voudrait ainsi étudier le yézidisme serait accueilli avec bienveillance par cette communauté et son clergé[1].
Le yézidisme est monothéiste. Dieu est unique. Il est le créateur du cosmos et de la vie. Le yézidisme nourrit en cela la même croyance que les 3 religions du Livre : le judaïsme, le christianisme, l’islam. Et même le zoroastrisme[2].
Dieu est lumière. Il est tel le soleil qui rayonne sur la Terre. C’est pourquoi les yézidis prient systématiquement face au soleil. En cela, le yézidisme est comparable au zoroastrisme mésopotamien et persan.
Dieu est bon, infiniment bon. C’est pourquoi les yézidis cultivent l’altruisme et prient systématiquement d’abord pour le monde et ensuite pour eux-mêmes.
Dieu est en tout et partout. Le yézidisme fait corps et esprit avec l’ensemble de la Création : cosmique, humaine, animale, végétale, et minérale. C’est pourquoi les yézidis sacralisent les oliviers dont l’huile est nécessaire pour le feu sacré. De même, l’ange paon (tawus melek) est le plus important des 7 anges (melek) qui représentent Dieu sur terre.
Le yézidisme croit au jugement des âmes et au jugement dernier. Il se distingue toutefois du christianisme par sa croyance en la réincarnation. Les défunts sont mis en terre. Les âmes sont jugées, selon le bien accompli et le mal commis. Les âmes pures peuvent devenir des êtres de lumière. Les âmes impures peuvent se réincarner sous des formes humaines ou animales dépréciées ou belliqueuses.
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[1] « Jean-Paul Roux, décédé en juin 2009, ancien chercheur au CNRS et titulaire de la section d’art islamique à l’École du Louvre, considérait le yézidisme comme ‘’une religion à part, syncrétisme évident de traditions populaires et de réminiscences de dogmes des grandes religions’’ ». Lacroix, Claire Lesegretain, 26 avril 2010.
[2] Né en perse, fondé par Zarathoustra (Zoroastre), au Ier millénaire avant J.C., le zoroastrisme est monothéiste et reconnait en Ahura Mazdâ le Dieu unique. Le zoroastrisme constitue en cela une réforme fondamentale par rapport au mazdéisme dont il s’inspire. Le mazdéisme, polythéiste, considère Ahura Mazdâ, comme le dieu principal mais pas le Dieu unique. Cette religion persane se répandit jusqu’en Inde par l’intermédiaire du védisme.
Pratiques cultuelles yézidies
Les pratiques cultuelles yézidies ne semblent pas réglées par une « liturgie » stricte, mais par un ensemble de rites traditionnels et de pratiques votives transmises oralement de génération en génération
Les Yézidis prient en général individuellement, et se réunissent aussi en communautés devant leurs temples et sanctuaires pour écouter les qawals, tout à la fois musiciens, chantres et gardiens du culte yézidi, dont le savoir et les pratiques se transmettent de père en fils.
La prière quotidienne, toujours tournée vers le soleil, lumière de Dieu (Khoda), n’est pas une obligation et n’est pas non plus un signe pour être un « bon Yézidi ». Cependant, les personnes pieuses et âgées prient régulièrement, jusqu’à 5 fois par jour.
Embrasser les lieux saints et les mains des figures pieuses, offrir des cadeaux aux religieux, sacrifier des animaux, nouer et dénouer des étoffes sur des arbres à vœux, sont des signes de respect et de dévotion.
De tous les jours de la semaine, le mercredi est le plus important. Il est comme le dimanche pour les Chrétiens, le samedi pour les juifs ou le vendredi pour les musulmans. C’est le mercredi que sont organisées les grandes célébrations hebdomadaires au cours desquels les religieux yézidis allument le feu sacré dans les mausolées.
8 grandes fêtes annuelles rythment le calendrier religieux yézidi. La première est celle du Nouvel An (seursal) le premier mercredi du mois d’avril. Cette fête symbolise la création de la vie à partir du chaos initial et la venue de Tawus melek. À cette occasion, les œufs, symbole de la terre originelle et sans vie, sont bouillis et teintés. Certains de ces œufs sont écrasés au dessus des portes des maisons et des mausolées en y joignant des petites fleurs rouges.
Une autre grande fête annuelle est celle du Printemps (towaf), dont la date est mobile entre le 12 et le 20 avril. Enfin, le pèlerinage sur la tombe de Cheikh Adi, au sanctuaire de Lalesh (djamaiya) a lieu le 6 octobre.
Le mausolée à dôme conique : une architecture yézidie typique
Le mausolée à dôme conique et à rayons est un monument emblématique de l’art sacré yézidi. D’une grande sobriété architecturale et ornementale, ce type d’édifice est fondé sur une structure cubique qui contient la sépulture ou le cénotaphe, couverte par une dalle que porte un tambour au dessus duquel se dresse un dôme conique à multiples arêtes. Cette voûte symbolise les rayons du soleil qui illuminent la terre et l’humanité.
La pointe de ce dôme est systématiquement rehaussée d’une flèche de bronze, formée d’une ou plusieurs boules, surmontée d’un anneau, d’un croissant de lune, d’un astre voire d’une main, où sont nouées des étoffes de couleurs. La flèche représenterait le monde cosmique, les planètes, le soleil et les étoiles créés par Dieu. Les étoffes de couleur figureraient celles de l’arc en ciel[1].
L’intérieur d’un mausolée yézidi est souvent constitué d’une chambre séparée où repose un sarcophage recouvert de soieries. On peut aussi y trouver une ou plusieurs niches percées dans le mur pour y brûler l’encens et allumer le feu sacré. On y trouve également souvent des étoffes nouées par les pèlerins pour formuler leurs vœux.
L’espace sacré de tout mausolée yézidi inclut la dalle qui le précède ou qui l’entoure. C’est pourquoi tout visiteur et tout pèlerin doit y être déchaussé.
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[1] Cette interprétation peut varier d’une communauté à l’autre.
Histoire récente et démographie yézidie de Aïn Sifni
Aïn Sifni est la capitale du district de Cheikhan, grand centre administratif et spirituel et aussi la plus ancienne patrie de la communauté yézidie. Situé aux carrefour du Kurdistan irakien et de la province de Ninive, ce district compte 50 villages et abrite les villages yézidis les plus importants : Bozan, Lalech, Ba’adrê, Beban et bien sûr Aïn Sifni.
Le village d’Aïn Sifni est d’autant plus important qu’y vivent le prince yézidi Mîr Tahsin Beg et le Baba Cheikh (le plus haut dignitaire religieux yézidi) avec leurs familles respectives.
Aïn Sifni est aussi, dans la croyance yézidie, le lieu où vécut Noé où il construisit son arche et où commença le Déluge avant qu’elle ne s’échoue sur le mont Djoudi[1]. Dans le panthéon yézidi, Noé occupe la deuxième place après Adam. Aïn Sifni est de ce fait l’un des plus hauts lieux spirituels yézidis.
Au siècle précédent, dans les années 30 et 40, il n’y avait que des Yézidis et Juifs dans la cité de Cheikhan (Aïn Sifni). La plupart des villages alentours étaient yézidis. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
En 1975, Aïn Sifni a été frappé par la politique d’arabisation décrétée par Saddam Hussein. Toutes les familles yézidies d’Aïn Sifni furent contraintes de s’installer à Mahed, transformée en une collectivité urbaine unique pour 13 villages yézidis des environs. À la chute de Saddam Hussein en 2003, les colons arabes de Cheikhan quittèrent le village d’Aïn Sifni et tous les villages du district qu’ils occupaient. Les habitants d’Aïn Sifni revinrent chez eux, reprirent possession de leurs maisons et de leur patrimoine, rénovèrent et restaurèrent ce qui avait été détruit et construisirent de nouveaux édifices.
Une décennie plus tard la catastrophe revêt le masque de daesh. Les Yézidis furent persécutés et victimes d’un génocide à Sinjar, à l’ouest du Tigre. À l’ouest du Tigre la progression fulgurante de daesh fut contenue dans la plaine de Ninive. Tous les villages yézidis à la lisière du Kurdistan d’Irak furent évacués de manière préventive et provisoire. Ce fut le cas également à Aïn Sifni.
Avant daesh, il y avait 700 familles à Aïn Sifni. 80 % étaient yézidies, 10 % chrétiennes, 10 % musulmanes. En 2018[2], on ne comptait plus que 200 familles !
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[1] Le mont Djoudi a été identifié avec une montagne située à 2089 mètres d’altitude aux frontières turque, syrienne et irakienne, près de Silopi en Turquie. Le mont Djoudi diffère du mont Ararat où la mythologie et la tradition situent communément l’échouage de l’arche de Noé.
[2] Informations collectées à Cheikhan (Aïn Sifni) par l’équipe de Mésopotamia le 5 Juin 2018 auprès des responsables de la communauté yézidie.
Témoignage de Azad Mourad Hadji[1] : la situation des yézidis après daesh
« Jamais nous n’aurions imaginé subir un génocide, en août 2014 ! Aujourd’hui notre situation peut être résumée en 2 phrases. Le peuple vit aujourd’hui à 80 % sous des tentes. Il y a près de 60 à 70 charniers (cimetières ?) dont personne ne se préoccupe. Il y a là des femmes, des hommes, des enfants dont on cherche parfois les corps (os ?).
Au XXIe siècle, 3000 femmes et filles (yézidies) sont encore aux mains de daesh. On ne sait rien d’elles.
Il est aussi très important de dire qu’en 3 ans 100 000 personnes (yézidies) ont émigré vers l’Allemagne, la Belgique, les États-Unis, le Canada, l’Australie. Aujourd’hui des sœurs ne se voient plus, des pères ne voient plus leurs enfants. Les liens sociaux sont rompus.
Pour ceux qui restent ici la situation n’est pas sécurisée car la mentalité de daesh est toujours présente. Le niveau de sécurité n’est pas bon. Beaucoup de jeunes filles, de garçons et de femmes sont dans une situation psychologique difficile. »
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[1] Azad Mourad Hadji est responsable du centre culturel et social yézidi de Lalesh à Aïn Sifni et professeur d’école.
Lieux sacrés yézidis à Aïn Sifni
On compte à Aïn Sifni, 7 lieux sacrés yézidis parmi lesquels 3 mausolées traditionnels à dôme conique et 4 autres édifices dont le cénotaphe de Cheikh Mand. Deux mausolées sont particulièrement bien connus et très visités par les fidèles yézidis. Le mausolée de Cheikh ‘Ali Chams et le mausolée de Cheikh Hantuch.
Le mausolée de Cheikh ‘Ali Chamse. Il se dresse sur une colline élevée qui domine le village d’Aïn Sifni. Un cimetière entoure le mausolée. Il est en bon état et reste l’édifice le plus précieux d’Aïn Sifni. Nous n’avons aucun renseignement sur la date de construction de cet édifice ni sur le personnage de Cheikh Alî Chamse. Cependant, nous estimons que Cheikh Alî Chamse fut un des neuf fils de Cheikh Chams qui aurait vécu au XIVe siècle. Quant au plan du mausolée, il est typique de Mossoul apparu au XIIe siècle et fut utilisé abandonnement jusqu’au XIVe siècle au nord de l’Irak par les chiites ainsi que par les Yézidis au cours de périodes différentes. Nous nous permettons de le dater du XIVe siècle sans plus de précision.
Le mausolée présente un plan carré, mesurant 4,90 x 4,90, surplombé d’un dôme conique aux multiples arêtes. Le tambour est à trois degrés : le premier est en forme d’octogone et les deux autres sont circulaires. Le dôme conique dispose de 28 tranches et est chapeauté par deux globes « hilêl » métalliques auxquels sont attachés des tissus. Une petite porte donne accès à l’intérieur dans le mur nord. Il y a trois petites fenêtres rectangulaires sur le tambour octogonal. Deux niches se trouvent dans le mur est, deux autres sont dans le mur ouest et une dans le mur sud. La dernière sert à allumer les mèches. Il y a le cercueil de Cheikh Ali Şemse, orienté nord-sud, à gauche de l’entrée.
Le bâtiment fut construit en moellons enduits par un mortier de gypse, juss. Les façades ainsi que le dôme conique furent plaqués de pierres de taille lors une restauration récente.
Le mausolée de Cheikh Hantuch. Il est situé dans la campagne, un peu isolé du village d’Aïn Sifni. D’après le Pr. Philipp G. Kreyenbroek, Cheikh Hantuch fut au XIIe siècle un des premiers disciples de Cheikh ‘Adî (1072-1162). L’architecture du mausolée présente des particularités de Mossoul du XIIe et XIVe siècle. Il est donc possible que ce mausolée date du XIIe siècle.
Il est de forme carrée et est couronné d’un dôme conique aux multiples arêtes. Ses dimensions sont 3,20 x 3,20 m. On entre à l’intérieur par une porte située dans le mur nord. Une niche rectangulaire est localisée dans chaque mur à l’exception du mur nord. Les murs sont épais (1,3 m. de largeur). Le dôme surmonte à l’intérieur quatre trompes. Le tambour du mausolée à l’extérieur compte deux niveaux. Le premier niveau est octogonal et le deuxième est circulaire. Le dôme, la coupole dispose de 24 tranches et se termine par un globe.
Le mémorial de Cheikh Mand. Il se trouve au centre du village d’Aïn Sifni dans un cimetière. Ce n’est pas un mausolée au sens strict mais un cénotaphe, c’est à dire un mémorial sans corps. D’après Sharaf Khan Bidlisî, Cheikh Mand fut un des émirs kurdes d’Antioche et d’Alep en Syrie au service de la dynastie Ayyoubide. Cheikh Mand passe pour avoir résolu les problèmes des Yézidis quand il fut au pouvoir en Syrie au XIIIe siècle. Dans la croyance yézidie, on dit aussi de Cheikh Mand qu’il dispose du pouvoir sur les serpents. Plusieurs cénotaphes portent son nom, notamment à Bozan, Kabartu et bien-sûr ici à Aïn Sifni. Son mausolée est à Lalesh.
Le mémorial de Cheikh Mand présente une forme de petite citadelle carrée, sensée représenter en miniature la citadelle d’Alep où régna Cheikh Mand. L’édifice est recouvert de pierres de taille. La toiture est plane. Les murs sont surmontés de merlons d’ornement et de grosses pierres en forme de boulets[1]. La porte d’entrée en bois est encadrée par deux colonnes engagées ornées de cannelures horizontales. À droite de la porte, un serpent est sculpté et peint en noir[2].
À l’intérieur[3] se trouvent un autel pour prier et des objets sacrés servant à la cérémonie du feu sacré. L’édifice est entouré et délimité par une dalle carrelée qui participe de l’espace sacré sur lequel tout visiteur et tout pèlerin se doit d’être déchaussé. Sur les côtés et derrière l’édifice, le cimetière est riche de nombreuses et belles tombes yézidies d’époques variées.
Ce monument dont il n’est pas possible de dire la date de fondation a été restauré en 2001, ce qu’atteste une inscription épigraphique sur la façade de l’édifice. Toutefois les représentants yézidis de Aïn Sifni se plaisent à dire que ce cénotaphe aurait près de 950 ans !
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[1] La seule signification qui ait été donnée le 5 juin 2018 aux représentants de Mesopotamia est qu’ils représenteraient les boulets sans explosifs utilisés autrefois dans les catapultes ! Cette justification nous semble à prendre avec prudence.
[2] Pendant le Déluge, le bois de la coque fut percé par un rocher. Un trou se forma, l’eau commença à pénétrer et menaça de faire couler le navire. C’est alors qu’un serpent noir s’enroula et colmata le trou, sauvant ainsi ses occupants et la nouvelle humanité. C’est pourquoi les yézidis honorent depuis toujours le serpent noir, pour son dévouement et sa sagesse. Le serpent noir est donc un animal très important dans la mythologie yézidie et se trouve souvent représenté sur les monuments.
[3] Il n’a pas été possible de visiter l’intérieur du cénotaphe le jour de la visite des délégués de Mesopotamia, le 5 juin 2018.
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