L’ancien évêché chaldéen d’Amadia
L’ancien évêché d’Amadia se situe à 37°5’37.50″N., 43°29’9.30″E. et 1163 mètres d’altitude, au nord-ouest de la cité.
Amadia fut l’un des diocèses chaldéens les plus dynamiques d’Irak. Sa grande bibliothèque témoignait de son rayonnement. Elle connut malheureusement une fin dramatique, pillée et incendiée, peu après le début de la révolte kurde en 1961.
Malgré son indéniable charme, Amadia a progressivement perdu sa vitalité culturelle, cultuelle et communautaire.
L’ancien évêché semble abandonné. L’édifice, sans charme, dissimule en contrebas, sous le niveau du sol, une petite église mononef à voûte en berceau brisé. Deux rangées de bancs de bois ainsi qu’un maitre-autel avec son mobilier liturgique attestent de la continuation d’une vie cultuelle.
Photo : Cour intérieure de l’ancien évêché d’Amadia. Juillet 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Localisation
L’ancien évêché d’Amadia se situe à 37°5’37.50″N., 43°29’9.30″E. et 1163 mètres d’altitude, au nord-ouest de la cité. Bâtie sur un plateau rocheux qui surplombe vallées et ravins, Amadia est une impressionnante citadelle naturelle offrant un panorama de toute beauté. Amadia est aussi un lieu de villégiature très apprécié des Irakiens, notamment pendant la période estivale.
Amadia se trouve à moins de 17 km au sud de la frontière turque et 90 km à l’est de Dehok-Nouhadra.
Fragments d’une histoire chrétienne
L’histoire chrétienne d’Amadia est comparable à celle des autres villages de la région. Une présence confessionnelle juive préexistante. Une évangélisation précoce sous l’impulsion des apôtres Thomas, Addaï (possiblement l’apôtre Thaddée également nommé Jude dans les Évangiles) et Mari. Un IVe siècle riche de vocations et peuplé de récits de martyrs persécutés par le perse Shapur II. Et tout au long de cette période paléochrétienne le développement d’ermitages et de sanctuaires primitifs sur les lieux mêmes où furent érigés progressivement les églises et monastères assyriens. Au long des siècles et jusqu’au déclin de l’empire ottoman, les vallées et montagnes qui longent cette partie de la Mésopotamie furent un lieu d’épanouissement et de refuge de l’Église de l’Orient de part et d’autre de l’actuelle frontière turco-irakienne, cependant qu’y fleurirent dès le XVIIe siècle et plus encore à partir du XVIIIe les missions catholiques. Amadia était autrefois le siège d’un important diocèse chaldéen qui incluait les secteurs de Zakho et Akra. En 1850 ce diocèse fut divisé en trois évêchés distincts[1]. Cet univers communautaire et confessionnel bascula à la fin XIXe et au début du XXe siècle avec les persécutions des Kurdes, la mise en œuvre de Seyfo[2] par l’administration Jeune-turque, puis le démembrement de l’Empire ottoman.
Le reste du XXe siècle, même sous administration irakienne depuis 1921, n’offrit aucun répit. Entre 1961 et 1991, les guerres successives qui opposèrent le régime irakien aux peshmergas kurdes pesèrent très lourdement sur les communautés chrétiennes locales et leur patrimoine. Dans le gouvernorat de Dehok-Nouhadra, dans lequel se situe Amadia, « le bilan des années Saddam est terrible pour la communauté chrétienne du Kurdistan. Le soi-disant protecteur des chrétiens de Bagdad et Basra a anéanti la communauté chrétienne du Kurdistan. Des dizaines d’églises très anciennes, de rares témoins des origines du christianisme, ont été détruites. Des dizaines de villages chrétiens ont été rasés, et leur population déportée. Quel que soit l’avenir du Kurdistan, malgré quelques tentatives de reconstruction, c’est un monde qui a disparu à jamais, car rien ne fera revenir au Kurdistan les dizaines de milliers de chrétiens qui ont émigré à l’Ouest et sont établis aujourd’hui en Europe ou dans le Nouveau Monde[3]». Ces destructions patrimoniales furent également mémorielles : « si cent églises ont été dynamitées (le chiffre réel est bien plus élevé) au moins deux-cents inscriptions ont sans doute été détruites[4] » et représentèrent une perte colossale pour la connaissance et la transmission intergénérationnelles. L’effacement identitaire atteignit son paroxysme avec la destruction de plusieurs bibliothèques monastiques, paroissiales et diocésaines, comme ce fut le cas à Amadia.
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[1] In « L’Église chaldéenne catholique, autrefois et aujourd’hui ». Extrait de l’Annuaire Pontifical catholique de 1914, Abbé Joseph Tfinkdji, prêtre chaldéen à Mardin, p.70
[2] Seyfo est le nom syriaque donné au génocide des Assyro-Chaldéo-Syriaques de l’Empire ottoman en 1915-1918.
[3] In « Le livre noir de Saddam Hussein », Chris Kutschera, Oh Éditions, 2005, p.398
[4] In « Recueil des inscriptions syriaques », tome 2, Amir Harrak, Académie des inscriptions et belles lettres, 2010, p.533
Amadia : histoire chaldéenne et démographie
Le premier évêque chaldéen d’Amadia[1], Hnan-Jésu, fut installé en 1785. Neveu du patriarche de l’Église apostolique assyrienne de l’Orient Elie XI, nommé évêque de cette église orientale autocéphale pour Amadia et Djezireh, Hnan-Jésu passa au catholicisme et inaugura la lignée des évêques chaldéens d’Amadia.
Au nombre de ses illustres titulaires, le diocèse d’Amadia eût pour évêque Monseigneur Joseph Audo entre 1833 et 1847, avant qu’il ne devienne l’un des plus grands patriarches chaldéens (1848-1878), sous le nom de Mar Joseph VI Audo. Un autre grand patriarche chaldéen Raphaël Ier Bidawid (1989-2003) fut également évêque d’Amadia entre 1957 et 1966[2].
Amadia fut l’un des diocèses chaldéens les plus dynamiques d’Irak. Sa grande bibliothèque témoignait ainsi de son rayonnement. Elle connut malheureusement une fin dramatique peu après le début de la révolte kurde en 1961 à l’époque de Monseigneur Raphaël Bidawid : « ma bibliothèque d’Amadiya comprenant 10.000 volumes et 300 manuscrits a été incendiée. La plupart de nos manuscrits avaient cependant été regroupés à Mossoul, alors siège du patriarcat… Après le évènements de 1991 au Kurdistan, des Chaldéens émigrés via la Turquie avaient emporté dans leur exode quelques manuscrits, qu’ils ont vendus pour des sommes modiques à des collectionneurs allemands. Pour conserver à la postérité le contenu des manuscrits qui subsistent entre nos mains, le Vatican nous a suggéré de les faire microfilmer par ses soins. Mais le gouvernement irakien a refusé d’autoriser ce transfert. Toute aliénation de trésors historiques nationaux est un crime puni de mort, dans notre pays[3].»
En 1913, deux ans avant Seyfo, on comptait 4970 Chaldéens dans le diocèse d’Amadia dont 400 pour la seule localité d’Amadia. À cette époque la cité épiscopale chaldéenne n’était que la quatrième par ordre d’importance démographique, après Manguesh (1100 Chaldéens), Ar Aden (650) et Téna (450). À titre de comparaison, on comptait également dans ce diocèse 4000 Chrétiens nestoriens (membres de l’Église Apostolique Assyrienne de l’Orient). À cette époque, subsistait encore une importante communauté juive à Amadia et dans toute la région.
Un siècle plus tard, en août 2017, la cité d’Amadia comptait environ 10 000 habitants, presque tous Kurdes musulmans. Si la communauté juive n’existe plus, il reste néanmoins une synagogue contenant une tombe qu’une tradition locale attribue au prophète Ézéchiel et que vénèrent également les Musulmans et les Chrétiens. On compterait plus que 25 familles chrétiennes chaldéennes dans la cité[4] qui ont bien du mal à préserver les deux édifices chrétiens qui s’y trouvent.
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[1] Le nom exact est diocèse d’Amadia et Chammkan
[2] Voir http://www.foundation-bidawid.org/fr/index.html
[3] Interview du Patriarche Raphaël Ier Bidawid par Pierre Chartouny et Marc Yared, in Présence Libanaise, Avril-Mai-Juin 1995, Numéro 11. P.45-48
[4] Source : Monseigneur Rabban al Qas, évêque des diocèses d’Amadia et Zakho. Information recueillie par l’équipe de Mesopotamia le 26 août 2017.
Que reste-t-il de l’évêché chaldéen d’Amadia ?
De l’extérieur, rien ne permet d’identifier l’ancien évêché. Une fois passé le portail d’entrée, on pénètre dans une petite cour intérieure ombragée. Les lieux semblent avoir été déserté. L’édifice, sans charme, dissimule en contrebas, sous le niveau du sol, une petite église mononef à voûte en berceau brisé. Elle n’est pas en ruine mais son enduit mural est touché par l’humidité. Deux rangées de bancs de bois ainsi qu’un maitre-autel avec son mobilier liturgique attestent de la continuation d’une vie cultuelle.
Plusieurs facteurs ont contribué à ce triste état des lieux patrimonial et communautaire : la bibliothèque a été en partie pillée et brûlée en 1961 au tout début de la révolte kurde, l’évêché a été bombardé en 1963 par les forces gouvernementales irakiennes, la ville a été en partie désertée lors des bombardements chimiques qui frappèrent le bas d’Amadia le 25 août 1988 : « Les oiseaux tombaient et périssaient, les feuilles d’arbres tombaient et les arbres mourraient. Pendant 3 ans nous n’avons plus vu d’oiseaux[1] ». Malgré son indéniable charme, Amadia a progressivement perdu sa vitalité culturelle, cultuelle et communautaire.
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[1] Souvenirs personnels de Monseigneur Rabban al Qas, évêque des diocèses d’Amadia et Zakho, collectés par l’équipe de Mesopotamia le 26 août 2017.
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