L’église arménienne apostolique Sourp Vartan de Avzrok
L’église apostolique arménienne Sourp Vartan se situe à 36°56’35.44 »N 42°37’42.92 »E et 470 mètres d’altitude, à Avzrok, dans un village reconstruit pour la communauté arménienne.
L’histoire du village de Avzrok est directement liée à celle du génocide des Arméniens de 1915-1917. Le village a été fondé en 1933 par des survivants arméniens du village de Gaznar (près de Van, en Turquie), qui se sont installés à Zakho au terme de leur exode. En 1975, après la défaite des rebelles Kurdes de Mustafa Barzani, Saddam Hussein décida d’arabiser toute la région. Il fit évacuer et détruire Avzrok ainsi que tous les villages de ce secteur. Les Arméniens revinrent progressivement à Avzrok dès 1996 mais surtout en 2005 lorsque le village fut reconstruit avec le soutien financier du gouvernement kurde. 55 familles arméniennes vivent à Avzrok. C’est en 2002 qu’a été construite l’église arménienne Sourp Vartan à Avzrok, avec le soutien financier de l’association Caritas. C’est la toute première église du village. Entre 1933 et 1975, les célébrations se déroulaient dans les maisons. Faute de moyens financiers il n’avait pas été possible de construire une église.
Église arménienne apostolique Sourp Vartan de Avzrok. Août 2017 © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA
Localisation
L’église arménienne Sourp Vartan se situe à 36°56’35.44 »N 42°37’42.92 »E et 470 mètres d’altitude, à Avzrok[1], à 36 km au nord-ouest de Dehok-Nouhadra, à 95 km au nord-ouest de Mossoul, à 177 km au nord-ouest de Erbil et enfin à 26 km au sud de Zakho près de la frontière turque et 50 km à l’est de Feshkhabour à la frontière syrienne.
[1] Il existe deux villages nommés Avzrok. Le premier est arménien, le second est assyrien. Ils sont séparés de 10 kilomètres. Le village arménien est appelé Avzrok Miri, tandis que le village assyrien est nommé Avzrok Shno.
Sources de la présence arménienne en Irak
Les sources de la présence arménienne en Mésopotamie ont accompagné l’histoire des siècles dès l’Antiquité. Au Ier siècle avant J.-C. l’Adiabène (dont Arbelès / Erbil fut la « capitale ») fut partie intégrante du Royaume d’Arménie de Tigrane II le Grand. Au tout début du IVe siècle, l’Adiabène était encore la marche méridionale de l’Arménie, devenue en l’an 301 le tout premier royaume chrétien de l’histoire. « Probablement aussi, il y eut vers 328-329 une entrevue entre les deux seuls souverains chrétiens de l’époque : l’empereur romain Constantin Ier et l’Arménien Tiridate III. Constantin Ier confirma le rôle de Tiridate III pour l’évangélisation de l’Orient. C’est ainsi que des missionnaires arméniens participèrent à l’évangélisation de la Mésopotamie et du royaume sassanide, comme le relate l’historien grec Sozomène, vers 402 : « Ensuite, parmi les peuples voisins, la croyance progressa et s’accrut d’un grand nombre et je pense que les Perses se christianisèrent grâce aux importantes relations qu’ils entretenaient avec les Osroéniens[1] et les Arméniens (…) »[2] ».
Au XVIIe de nouvelles communautés arméniennes s’implantèrent en Mésopotamie irakienne après que le Perse Shah Abbas Ier eût conquis Bagdad en 1623. Dans les toutes premières années du XVIIe siècle, le roi perse déporta la population arménienne de Djougha (ancienne cité arménienne du Nakhitchevan sur la rive nord de l’Araxe). 12000 Arméniens furent ainsi réimplantés dans la Nouvelle Djougha, aux portes d’Ispahan, afin de participer au développement de la nouvelle capitale de l’Empire perse séfévide. À la mort du Shah, les Arméniens de Perse connurent une période de troubles. Nombre d’entre eux se déplacèrent en Mésopotamie et s’installèrent notamment à Bassorah (sud de l’actuelle Irak), tandis que d’autres poursuivirent leu chemin jusqu’en Inde.
La reprise de Bagdad en 1638 par le sultan ottoman Mourad IV avec l’aide de soldats arméniens ottomans ouvrit un nouvel épisode de l’implantation arménienne à Bagdad. Tout au long de la domination ottomane et jusqu’au déclin de l’Empire au début du XXe siècle, les Arméniens développèrent leurs institutions, tant et si bien qu’au début du XIXe siècle ils étaient dit-on près de 90 000 en Irak[3].
Le génocide des Arméniens de l’Empire ottoman en 1915-1917 constitua une ultime et dramatique source migratoire des Arméniens vers la Mésopotamie irakienne. Déportés des provinces orientales de l’Empire, venant du nord (Diyarbakır) le long du Tigre, de l’ouest (Ras-al-Aïn) le long de la ligne de chemin de fer allant d’Alep à Bagdad, mais aussi de Van en passant au préalable par la Perse, les Arméniens parvinrent dans certaines zones de relégation à Zakho, Havresk, Avzrok, mais aussi Mossoul, Bakouba et Kirkouk. À cet égard, il faut évoquer un tragique épisode. En janvier 1916 en 2 nuits seulement, 15000 déportés arméniens à Mossoul et dans ses environs furent exterminés, attachés 10 par 10, et jetés dans les eaux du Tigre. Déjà, bien avant ce carnage, dès le 10 juin 1915, le consul allemand à Mossoul, Holstein, télégraphia à son ambassadeur des scènes édifiantes :
«614 arméniens (hommes, femmes, enfants) expulsés de Diarbékyr et acheminés sur Mossoul ont tous été abattus en voyage pendant le voyage en radeau (sur le Tigre). Les kelek sont arrivés vides hier. Depuis quelques jours le fleuve charrie des cadavres et des membres humains (…)[4]»
Aujourd’hui, les Arméniens d’Irak sont pour la plupart des descendants des rescapés du génocide de 1915. Politiquement effacés, connus pour leur loyauté, ils développèrent leurs infrastructures éducatives, sociales et religieuses.
Très majoritairement membres de l’église apostolique arménienne (autocéphale depuis son origine en l’an 301), les Arméniens d’Irak comptent également nombre de catholiques[5] ainsi qu’une petite communauté évangélique.
Après le renversement de Saddam Hussein en 2003, la situation s’est considérablement dégradée. Les attaques islamico-mafieuses contre les Chrétiens irakiens ont également visé les Arméniens et leurs églises. Le 1er août 2004, la cathédrale arménienne catholique Notre Dame du Rosaire, à Bagdad, dans le quartier de Karada, a été ciblée par un attentat à l’explosif. Une église arménienne en construction à Mossoul a également été visée le 4 décembre 2004. Depuis près de 20 ans, l’émigration des Arméniens d’Irak est rythmée par ces différentes vagues de violence. La bataille de Mossoul au cours de l’été 2017 et l’intensité des bombardements a également affecté le patrimoine arménien. Avant 2003, il y avait vraisemblablement plus de 25 000 Arméniens en Irak, aujourd’hui les responsables communautaires parlent de 10000 à 13000 Arméniens en Irak. La moitié habiterait encore Bagdad. Les autres vivent au Kurdistan d’Irak, à Kirkouk, à Suleymanié ainsi qu’à Bassorah. Il n’y a plus d’Arméniens à Mossoul.
[1] Les Osroéniens sont les habitants d’Édesse. De son nom antique Osroé, Édesse fut une grande cité-capitale de l’Antiquité, avant de devenir un des plus grands centres de diffusion du christianisme dès l’époque paléochrétienne. La tradition arménienne rapporte que le roi d’Édesse et d’Arménie, Abgar V, voulut accueillir le Christ en son royaume, et lui fit parvenir un message à cet effet. Ce n’est pas le Christ qui vint à Édesse mais un de ses apôtres Thaddée (Jude). Édesse fut ensuite nommée Ourfa et demeura le siège d’une principauté. Aujourd’hui la ville est nommée Şanlıurfa depuis 1984 (en Turquie).
[2] In « Arménie, un atlas historique », p.22 et carte p.23. Édition Sources d’Arménie, 2017.
[3] Source : Ambassade d’Arménie en Irak
[4] In « L’extermination des déportés arméniens ottomans dans les camps de concentration de Syrie-Mésopotamie ». N° spécial de la Revue d’Histoire Arménienne Contemporaine, Tome II, 1998. Raymond H.Kevorkian. p.15
[5] Sur le site web de l’ambassade d’Arménie en Irak, on peut lire : « En 1914, les Arméniens catholiques d’Irak étaient 300. Après la première guerre mondiale et jusqu’en 2003, la communauté est parvenue à 3000 membres. De nos jours, les Arméniens catholiques en Irak comptent 200 à 250 familles. Les Arméniens catholiques ont deux églises. L’une nommé Notre Dame des Fleurs bâtie en 1844, l’autre nommée Sacré Cœur de Jésus bâtie en 1937. En 1997 la principale église catholique arménienne a été restaurée et est considérée comme la plus grande église de Bagdad. L’archevêque Emmanuel Dabaghian est le Primat des Arméniens catholiques d’Irak. »
Histoire du village de Avzrok et de l’église Sourp Vartan
L’histoire du village de Avzrok est directement liée à celle du génocide des Arméniens de 1915-1917. Le village a été fondé en 1933 par des survivants arméniens du village de Gaznar (près de Van, en Turquie), qui se sont installés à Zakho au terme de leur exode. En 1975, après la défaite des rebelles Kurdes de Mustafa Barzani, Saddam Hussein décida d’arabiser toute la région. Il fit évacuer et détruire Avzrok ainsi que tous les villages de ce secteur. Contraints de partir, les Arméniens de Avzrok s’établirent à Zakho et Mossoul. Après la première guerre du golfe, cette région passa sous le contrôle du Kurdistan d’Irak et les colons arabes en furent expulsés. Les Arméniens revinrent progressivement à Avzrok dès 1996 mais surtout en 2005 lorsque le village fut reconstruit avec le soutien financier du gouvernement kurde par l’intermédiaire de Sarkis Aghajan, le grand mécène chrétien et ancien ministre de l’économie et des finances. 55 familles arméniennes vivent à Avzrok[1]. Encore aujourd’hui, ce sont toutes des familles de descendants des rescapés de Gaznar en 1915.
C’est en 2002 qu’a été construite l’église arménienne Sourp Vartan à Avzrok, avec le soutien financier de l’association Caritas. C’est la toute première église du village. Entre 1933 et 1975, les célébrations se déroulaient dans les maisons. Faute de moyens financiers il n’avait pas été possible de construire une église.
[1] En Août 2018. Environ 350 personnes
Qui était Sourp Vartan (Saint Vartan) ?
Sourp Vartan (Saint Vartan) de son nom Vartan Mamigonian vécut au Ve siècle. Membre de la lignée princière et militaire des Mamigonian, il incarne l’esprit de résistance des Arméniens dans la défense de leur identité et de leur foi chrétienne. Nommé sbarabet (général en chef) du royaume d’Arménie sous domination perse sassanide en 432, Vartan Mamigonian organisa la résistance des Arméniens contre le roi Yazdgard II qui voulait leur imposer le zoroastrisme. La bataille d’Avarayr le 26 mai 451, vit s’affronter les armées perses et arméniennes. Sur ce haut plateau, au nord-ouest de l’actuelle Iran, les forces en présence étaient disproportionnées. Les Sassanides vainquirent, le général Mamigonian fut tué, mais les pertes perses furent à ce point considérables que le roi Yazdgard II renonça à imposer le zoroastrisme à l’Arménie. Héros de la foi et de l’Arménie, Vartan Mamigonian a été proclamé Saint. La fête dite de Vartanantz se déroule le jeudi qui précède l’entrée dans le Grand Carême arménien. Au cours de cette fête religieuse et nationale sont célébrés Vartan Mamigonian et 1036 martyrs.
Description de l’église arménienne Sourp Vartan de Avzrok
L’église arménienne Sourp Vartan se dresse à l’intérieur d’un domaine religieux clos par un mur d’enceinte au sommet du village de Avzrok. L’édifice en béton armé est couvert d’un parement de pierres ocre-beige. Comme dans le village de Havresk, les coiffes du clocher et du tambour sont les seuls signes distinctifs de l’architecture sacrée arménienne.
L’entrée de l’édifice, à l’ouest, est précédée d’un porche clocher avec dôme à tambour octogonal, surmonté d’une croix arménienne métallique. Il y a aussi une porte latérale sur la façade sud pour entrer dans la sacristie.
Longue de 27 mètres et 10 de large, l’église est en forme de halle à toiture plane et couverture en terrasse. Elle est éclairée par une lumière naturelle abondante grâce aux fenêtres des façades nord et sud et de la coupole.
Un chancel en métal doré sépare la nef du sanctuaire qui se compose de deux parties. La partie basse est ouverte aux fidèles pour la communion eucharistique. La partie haute, le bèm, la tribune réservée aux prêtres et aux diacres, où se dresse un maître-autel à degrés revêtu de plaques de marbre et orné d’une icône de la Vierge et l’Enfant. Derrière le maître-autel se trouve un étroit déambulatoire qui longe le mur de l’abside. De part et d’autre de l’autel se trouvent le baptistère à gauche et la sacristie à droite.
Une coupole octogonale à tambour et fenêtres avec coiffe pyramidale se dresse au dessus du maître-autel.
Sur l’esplanade, côté est, on trouve plusieurs tombes ainsi qu’un mémorial pour le centenaire du génocide des Arméniens (1915-2015), au centre duquel se trouve un khatckar (pierre à croix arménienne finement ciselée).
De l’autre côté, à l’ouest, près du porche d’entrée se trouve une reproduction de la grotte de Lourdes.
Témoignage de Bhram Ouman, président du Comité de l’église Sourp Vartan de Avzrok
Bhram Ouman vit dans le village arménien de Chkafdal près d'Avzrok et est président du comité de l'église Sourp Vartan d'Avzrok. Témoignage recueilli par Mesopotamia le 29 août 2017.
« Mes aïeux habitaient Gaznar, près de Van, en Turquie. Lors du génocide des Arméniens en 1915-1917, ils sont parvenus à Zakho. Ils vécurent de l’élevage des moutons jusqu’en 1933. Tous les villageois vivaient alors de l’élevage et de l’agriculture.
Bien que ce village soit arménien, nous ne parlons pas l’arménien mais le kurde, parce que les villages autour de nous étaient kurdes. Nous n’avions pas d’école pour apprendre notre langue. Et lorsque une école fut construite à Avzrok en 1950, l’enseignement était en arabe.
J’avais 15 ans, en 1975, lorsque j’ai été contraint de quitter mon village de Chkafdal avec ma famille. J’y suis revenu en 2005. Aujourd’hui, nous voulons tous quitter l’Irak. Même moi ! Il n’y a pas de futur ici pour les Chrétiens. J’ai déjà de la famille en Belgique, en Turquie, en France, au Canada, en Suède. Néanmoins, si la situation s’améliore au Kurdistan, beaucoup de gens reviendront. Vivre et travailler en tant qu’émigré en Occident est épuisant. Les familles n’ont pas de relations, pas de temps, elles ne font que travailler jour et nuit. »
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